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MAI 2015

Magali Pinglaut

Magali Pinglaut : un besoin urgent de solidarité



Française d’origine et belge de cœur, Magali Pinglaut est une artiste d’exception, engagée dans la vie comme dans son métier de comédienne, qu’elle exerce avec passion depuis près de 25 ans.

Sa prestation dans le spectacle « Après la répétition » d’Ingmar Bergman en 1999, aux côtés d’Anne Chappuis et Pierre Laroche, marque le début d’une longue relation de confiance avec Le Public. Elle en foule les planches régulièrement au fil des années, tour à tour comédienne dans des rôles denses, ou metteure en scène.

Elle est aujourd’hui à l’affiche du spectacle « On achève bien les chevaux », une création originale du Théâtre le Public, mise en scène par Michel Kacenelenbogen.

TLP - Cela fait environ 25 ans que tu sillonnes le paysage théâtral belge. Peux-tu nous parler de ton parcours ?

Magali Pinglaut : Mes deux parents sont comédiens dans une troupe de théâtre amateur dans le Berry, en France. Enfant, je me plaisais à les regarder répéter, et j’ai rapidement été amenée à les rejoindre sur les planches. C’est comme ça que j’ai fait mes premiers pas au théâtre. Ils connaissaient -et connaissent encore aujourd’hui- bon nombre de personnalités importantes du milieu théâtral français et international (Arianne Mnouchkine entre autres). Portée par ce microcosme, j’ai eu la chance de découvrir des pièces incroyables, et de développer en profondeur ma culture théâtrale. À 17 ans, c’est assez naturellement que j’ai décidé de faire du théâtre mon métier. Un ami de la famille issu du milieu m’a déconseillé de me rendre à Paris pour entamer ma formation, et m’a suggéré Bruxelles, à une époque où les écoles artistiques en Belgique n’avaient pourtant pas l’aura qu’elles ont aujourd’hui. Il avançait notamment que l’accent mis sur la troupe théâtrale dans l’enseignement belge, en oppositions aux carrières solistes à la française, correspondait davantage à ma philosophie et ma vision du monde.

Je suis donc arrivée à Bruxelles à 19 ans, pour entreprendre ma vie d’artiste. On m’a conseillé de m’inscrire chez Pierre Laroche, chez qui j’ai entamé ma formation après avoir réussi le concours. Assez rapidement, en marge de l’école, j’ai commencé à rencontrer des gens, à me créer un cercle de relations (Laurence Vielle entre autres). Les choses se sont ensuite enchainées. J’ai accepté certains projets et, par conscience ou inconscience, j’en ai refusé beaucoup d’autres. J’ai travaillé pour de nombreux théâtres, mais il a toujours été crucial pour moi de rester indépendante, de ne pas me cantonner à un établissement, une institution en particulier. J’ai fait ce pari à l’époque, et j’y reste fidèle aujourd’hui. Cette volonté d’indépendance ne m’a cependant pas empêchée de développer des relations long-terme multiples auxquelles je suis fortement attachée.

Tu te considèrerais comme une réfugiée culturelle ?

(Rires) Oui si l’on veut ! J’ai fait ce choix de venir m’installer ici, et au cours de mes stages et formations internationales, j’ai très rapidement revendiqué mon appartenance à la Belgique. Je suis belge de formation et belge de cœur : c’est ici que j’ai passé plus de la moitié de ma vie.

Perçois-tu des différences fondamentales entre nos deux pays dans leurs approches théâtrales et culturelles respectives ?

Au niveau de la formation, certainement. L’apprentissage en Belgique est très proche de l’école allemande : la maitrise du texte y est tout aussi importante que la maitrise du corps. La formation française est à mon sens plus mentale, plus cérébrale. Cette approche a ses limites. Je suis pour ma part viscéralement attachée au texte bien sûr, mais la dimension physique du jeu m’est également essentielle. À cet égard, l’enseignement belge est de très haut niveau.

Tu mentionnais ton attachement à divers théâtres belges. À ce propos, tu as développé une complicité forte avec le Public, où tu fais aujourd’hui partie du conseil d’administration…

J’ai rencontré Michel Kacenelenbogen lors d’une audition ici, au Public, pour « Après la répétition » d’Ingmar Bergman. Il m’a choisi pour le rôle. Ce fût le début d’un partenariat avec Michel et Patricia Ide, qui s’est progressivement transformé en amitié sincère. Une amitié à la fois personnelle et professionnelle. Leur confiance à mon égard a rapidement été forte, et haute. Ils m’ont offert, et continuent à m’offrir la possibilité de travailler sur des projets magnifiques des deux côtés des planches, tout en respectant mon intégrité artistique. C’est une chance, dans un parcours de comédienne, que de pouvoir compter sur des alliés fidèles. Cela avait du sens pour moi d’accepter la place qui m’était offerte au sein du conseil d’administration, d’une part car je trouve cela important que des artistes y soient représentés, d’autre part car ma relation avec Patricia et Michel est suffisamment intègre que pour pouvoir échanger dans le respect, quels que soient nos points de vues respectifs.

Une relation qui ne semble pas fléchir, puisque tu campes aujourd’hui le rôle de Gloria dans le spectacle « On achève bien les chevaux », mis en scène par Michel Kacenelenbogen. Quel est ton ressenti par rapport à ce personnage ?

Je n’aborde jamais mes personnages de manière Stanislavskienne ou psychologique. Gloria est exemplaire, car son chemin diverge de celui de ses comparses, mais elle n’est qu’une figure parmi d’autres dans l’histoire. De par mon éducation, je suis particulièrement attachée au concept de solidarité. La pièce est une fable qui questionne cette notion dans la société d’aujourd’hui, ainsi que la manière d’agir face à un monde excessivement dur et violent, où l’égocentrisme est valorisé en permanence. Tout au long de la pièce, Gloria pose cette question centrale. Elle est amenée à s’inscrire dans un concours qu’elle exècre, une compétition fondée sur l’individualisme, au terme de laquelle il ne restera qu’un vainqueur. Ce « Dance for life » auquel elle participe va à l’encontre de toutes ses valeurs, et c’est précisément ce qui rend son personnage éminemment contradictoire. Elle peut se montrer dure avec quelqu’un et le protéger dans le même temps. Pour un acteur, il est vertigineux de pouvoir jouer ce paradoxe fondamentalement humain.

Un rôle de héros, juste et bon d’un bout à l’autre, présente peu d’intérêt. En revanche, pouvoir camper un personnage traversé par de profondes contradictions… c’est ça le théâtre ! C’est ce qui rend Gloria passionnante. Elle est tour à tour défendable et indéfendable. Son chemin personnel l’amène à s’extirper du groupe en posant un acte fort, un acte de refus. Je ne suis pas Gloria, mais les questionnements qu’elle soulève, à travers son parcours et son destin tragique, résonnent beaucoup en moi.

On est assez loin du contexte dans lequel Horace Mccoy a écrit son roman, mais le propos ne semble pourtant pas suranné…

On en est pas si loin, et je dirais même qu’on est en plein dedans. C’est là que réside toute l’intelligence de Michel Kacenelenbogen dans sa mise en scène : il ancre la pièce à la fois hier, aujourd’hui et même demain peut-être, bien que je ne le souhaite pas. Je suis de nature profondément optimiste, mais cela ne m’empêche pas de poser un regard lucide sur le monde. Il est particulièrement difficile aujourd’hui de rester optimiste. Cela demande beaucoup de force, d’amour et de confiance. Le monde n’a jamais été aussi violent. Il l’a toujours été bien sûr, mais aujourd’hui cette violence est organisée, schématisée. Elle s’applique à tous. La société pousse ceux qu’elle exclut dans les derniers retranchements de l’individualisme, au détriment du bien commun. C’est autour de ce constat amer que s’articule la pièce. Il est important de monter ce spectacle aujourd’hui, car son propos concerne tout le monde, du cadre de banque à la ménagère en passant par l’artiste ou le travailleur lambda. Cet aspect humaniste et universalisant du projet m’a immédiatement séduite. Au cours de ma carrière, j’ai toujours eu la volonté de travailler sur des sujets à l’ancrage politique fort, au sens le plus large du terme.

Engagée tant à la vie qu’à la scène… Les planches représentent pour toi un lieu privilégié d’expression d’idées, de révolte ?

Le théâtre, depuis la nuit des temps, c’est le foyer, l’endroit où l’on parle, l’agora. C’est un endroit d’une modernité hallucinante. Chaque soir, il se passe entre le plateau et la salle quelque chose d’unique, dont les résonances sont infinies. Certains comparent le théâtre à une grande messe réceptive, mais je n’adhère pas à cette métaphore. Il ne s’agit aucunement de faire la morale ou de donner des leçons à un spectateur amorphe ; on est là pour se rassembler, pour partager. Et puisque c’est l’endroit de la parole, le théâtre est de facto un lieu de résistance. En partageant d’autres points de vue, en échangeant d’autres visions du monde et des choses, on crée ensemble de puissants mécanismes de résistance à la pensée unique.

Quels sont tes projets futurs ?

Je partirai bientôt en tournée sur « Notre peur de n’être » de Fabrice Murgia. Je serai également à l’affiche d’une nouvelle création intitulée « Les présidentes », montée ici au Public en fin de saison prochaine aux côtés de Patricia Ide et Laurence Vielle. En parallèle, je continue à travailler sur l’écrit. Depuis mes premiers pas dans le théâtre, j’ai toujours couché sur papier mes idées. J’aime continuer à chercher, à creuser de nouveaux projets. En marge de mes contrats d’artiste, j’éprouve le besoin de me replonger régulièrement dans mes chantiers. Que ça débouche sur un nouveau spectacle ou que je me plante royalement, au moins j’aurais cherché. L’essentiel est là.

On te souhaite le meilleur pour la suite ! Merci Magali, et bonne continuation !

Propos recueillis par Raphaël Jomaux – Mai 2015


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