SEPTEMBRE 2015
Erika Sainte
Erika Sainte, au théâtre comme au cinémaDans « Qui a peur de Virginia Woolf ? » elle est Honey, cette jeune femme fraîche et naïve, sincèrement amoureuse, d’une véracité confondante, plongée malgré elle dans la plus virulente des scènes de ménage. Dans la vie, ajoutez à ce portrait la lucidité et la maturité d’une femme qui sait ce qu’elle veut et où elle va.
Une carrière artistique pourtant toute simple née au détour fortuit d’une académie et qui, depuis, semble s’écouler comme un long fleuve tranquille, mais où toutes les escales font mouche. Au théâtre comme au cinéma, chacune de ses prestations est saluée unanimement par la presse.
Qui êtes-vous, Erika Sainte ?
J’ai 34 ans et je suis comédienne.
Dans vos plus lointains souvenirs, qu’est-ce qui a déclenché votre envie de faire du théâtre ?
Je n’ai pas de souvenir précis. C’est arrivé comme ça. Je devais trouver une activité pour le mercredi après-midi. Je n’avais pas envie de faire du basket ou du volley. J’ai donc décidé de m’inscrire à l’Académie. Comme je ne voulais pas passer par le solfège ni pratiquer un instrument en particulier, je me suis inscrite en diction et déclamation. J’y ai pris goût et tout s’est enchaîné : les humanités artistiques puis l’IAD.
Que retenez-vous de votre passage à l’IAD ?
De belles rencontres avec d’excellents professeurs. On passe par plein de mains, et il y a des mains avec lesquelles on s’entend mieux que d’autres. Celles de Jules-Henri Marchant, par exemple, qui m’ont menée au Rideau.
Vous partagez votre temps entre le théâtre et le cinéma. Que vous apporte de différent la pratique de l’un et de l’autre ?
On n’est pas dans la même temporalité au théâtre et au cinéma ; au théâtre, on connaît le projet au moins un an à l’avance ; au cinéma, c’est généralement deux mois avant le début du tournage. ça change pas mal de choses dans la préparation. Au niveau du travail, j’ai l’impression que ce qui se passe sur un plateau de tournage, c’est ce qui se passe en salle de répétition au théâtre. Et au théâtre c’est ce moment-là que j’aime vivre ; le moment du travail, des essais et erreurs.
Vous avez déclaré que vous ne quittiez pas le plateau quand vous tourniez un film.
Oui. Nous sommes des éponges à émotion, ouvertes aux émotions de nos partenaires pour pouvoir y répondre. Si j’arrive sur un plateau, que je perçois des tensions et que je ne sais pas d’où elles viennent, je me sens mal. Je préfère donc être présente en permanence. Et puis tout va plus vite, on gagne du temps, pour les prises de lumière par exemple.
Et au théâtre ?
J’aime ne pas quitter la salle de répétition. Parfois, il le faut, parce que je n’ai rien à y faire. Mais, quand j’en ai la possibilité, j’aime rester pour écouter et sentir mes partenaires.
Pourquoi préférez-vous le temps de répétition au temps de représentation ?
Parce qu’on peut se tromper. On peut essayer des choses fortes et radicales. C’est parfois nul, mais c’est souvent magique.
Vous avez obtenu le Magritte de l’Espoir féminin pour votre rôle dans « Elle ne pleure pas, elle chante » de Philippe de Pierpont. Pouvez-vous me parler de ce film ?
C’était ma première vraie grande expérience cinématographique. Le casting s’est étalé sur des mois. Puis ce fut une belle rencontre avec le réalisateur qui m’a offert ce très beau cadeau. Un magnifique personnage… mais j’ignorais totalement si le cinéma allait me plaire ou non. J’ai adoré. L’équipe était merveilleuse ; c’était un long métrage certes, mais un « petit film » à petit budget. Généralement, ces films-là sont tournés pour de vraies raisons, des raisons de cœur, de passion, d’urgence.
Ce Magritte vous a-t-il ouvert des portes ?
Le Magritte est une belle reconnaissance et il ouvre des portes. Ceci dit, la première année qui a suivi cette distinction, je n’ai quasi pas eu de propositions… et cela tombait bien d’ailleurs car j’avais plein de projets théâtraux. Ma carrière cinématographique s’est construite peu à peu, doucement.
Vous avez d’ailleurs enchaîné avec une série de courts métrages Vous aimez ces petites formes ?
Ah oui ! (ndlr : un cri du cœur non dissimulé). Parce que souvent – pas toujours - ce sont les premières œuvres des réalisateurs et donc ils ont encore le droit d’essayer, de se tromper. Il y a moins de pression des maisons de production ; ils ne sont pas soumis à trop de concessions. Ils choisissent eux-mêmes leurs équipes, leurs comédiens. J’aime ça. Et puis, il y a des histoires qui se racontent mieux en 20 minutes qu’en une heure et demie.
Vous avez, cette année, eu le projet de réaliser vous-même avec Vincent Solheid et Michael Bier un long métrage « Je suis resté dans les bois ». Où en êtes-vous ?
On a tourné trois semaines et on a quasi terminé le montage. Puis il y aura le mixage et toute la finition. C’est très long la réalisation d’un film.
Pouvez-vous, en quelques mots, nous parler du contenu ?
C’est l’histoire d’un artiste plasticien Vincent Solheid qui, pour une exposition, filme des reconstitutions de souvenirs de sa vie. Toutes ces choses personnelles qu’il croyait avoir réglées en les confiant à la caméra se ravivent au lieu de s’éteindre.
Documentaire ou fiction ?
C’est une forme atypique dans son écriture, sa réalisation et son genre, entre fiction et documentaire, comédie et film d’art. Une fiction prise sur le vif.
Revenons au théâtre et à « Qui a peur de Virginia Woolf ? ». Un titre étrange puisque Virginia Woolf est absente de la pièce ?
Elle est absente parce qu’on n’en parle pas. Mais Virginia Woolf, c’est la folie, la dépression, le mal-être, le sentiment de n’être pas à la bonne place au bon moment, tout ce qui a fait que Virginia Woolf s’est suicidée en écrivant une des plus belles lettres d’amour à son mari. C’est l’impossibilité de prendre et de répondre à l’amour de son mari qui la pousse au suicide. Les personnages de la pièce d’Albee s’aiment de ce même amour magnifique, mais ils n’arrivent pas à le vivre. Virginia Woolf est donc bien présente.
Michel Kacenelenbogen a imaginé une scénographie particulière.
Très cinématographique. Un subtil compromis entre théâtre et cinéma parce qu’on a des champs et contre-champs en permanence. Les comédiens peuvent donc travailler à la véracité du jeu, sans effet. Sur un plateau normal, un mouvement de retournement peut avoir un effet signifiant. Ici, le mouvement est donné par le plateau tournant et tout se joue en vérité. C’est d’autant plus important que le public est tout proche, cernant le ring où les personnages se déchirent.
C’est une pièce féroce, dure, à couteaux tirés… et pourtant on rit.
Heureusement, sans quoi ce serait insoutenable. Mon personnage de Honey est la soupape de décompression du spectacle.
La pièce écrite dans les années 60 a-t-elle gardé son actualité ?
Oui. Les couples s’entredéchirent toujours autant. Bien sûr un certain nombre de références géographiques, politiques, sociologiques ont été gommées dans l’adaptation plus récente que nous interprétons. Mais le déchirement profond est toujours actuel. Le problème de l’infertilité affecte toujours aujourd’hui. Le renoncement à ses valeurs personnelles, la mise en danger de son propre couple, pour tenter d’obtenir une promotion, c’est terriblement actuel.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans le personnage de Honey ?
C’est la première fois qu’on me donne un personnage drôle. J’aime sa naïveté, sa fraîcheur, son authenticité. Elle n’a aucune carapace, aucun bouclier pour se protéger. Tous les coups l’atteignent donc de plein fouet.
Le point commun aux deux couples c’est l’absence d’enfant ?
Tout à fait. Pour George et Martha, c’est l’enfant qu’ils ont inventé pour se faire du bien et dont ils se servent pour se faire du mal. C’est comme quand on joue à rêver de la maison que l’on achèterait si l’on gagnait le pactole au Lotto. Et l’on s’invente une piscine pour s’évader de la grisaille du quotidien. Mais ici, ils se sont enfermés depuis 21 ans dans cette histoire. Pour Honey, sa fausse grossesse a débouché sur une infertilité. Là aussi c’est un secret enfoui, le sujet dont on ne peut parler.
Selon vous, quelles sont les qualités d’un bon metteur en scène ?
C’est d’avoir « envie » de monter sa pièce, et ce n’est pas toujours le cas. Puis, c’est de faire confiance à ses acteurs. Tout en maintenant le cap, il doit oser explorer des directions au risque de se tromper. Ces dérives nourrissent toujours le travail. Il doit ouvrir des pistes, offrir des libertés mais en sachant toujours où il veut aller.
Et la qualité d’un bon comédien ?
Faire confiance à son metteur en scène. Etre généreux dans cette confiance. Ne jamais faire quelque chose sans savoir pourquoi on l’a faite.
Propos recueillis par Roland Bekkers
Photo (c) Bruno Mullenarts - "Qui a peur de Virginia Woolf ?"
PARCOURS
Erika Sainte a participé à trois spectacles au Théâtre Le Public :
2009 Facteur Humain
2012 Skylight
2014 Qui a peur de Virginia Woolf ? (Reprise succès public jusqu'au 3/10/15)
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