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Claude Semal

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OCTOBRE 2015

Claude Semal

Claude Semal, zinneke culturel




Né en 1954, Claude Semal travaille à 18 ans comme ouvrier dans un atelier de maroquinerie. C’est là qu’il a appris le sens du travail après une scolarité de « bon élève quand je m’y mettais et cancre intégral quand ça ne m’intéressait pas ». C’est à cet âge qu’il débute au célèbre « Grenier aux Chansons » de Jane Tony. Depuis, il a emprunté un parcours tout-terrain allant de la chanson (avec une dizaine d’albums) au théâtre (près de 25 spectacles) jusqu’à diriger pendant 6 ans une salle de spectacle « Le Café » à Saint-Gilles avec Charlie Degotte.

Connu pour son franc-parlé et apprécié pour la manière qu’il a de « croquer » son temps et la société, Claude Semal publie aujourd’hui des chroniques dans le journal « Imagine » et dans « M… Belgique », 30 ans après avoir découvert le journalisme à « Pour ».


Partie 1 : L'interview
Partie 2 : Les questions Juke Box


Qu’est-ce qui a déclenché chez vous cette envie d’une carrière artistique ?
A 14 ans, j’écoutais les disques de Brassens comme les mantras d’un moine zen. J’étais aussi pionnier chez les scouts et je trouvais que chanter autour d’un feu de camp était le moyen le plus direct pour séduire les filles. A l’athénée, je dessinais l’affiche de la Fête de l’Ecole avant de jouer de petits rôles. C’est cet environnement qui m’a donné la passion de la chanson. Je suis aussi tombé très vite dans le Théâtre pour Enfants : je faisais partie de la 1ère section du Théâtre des Jeunes de la Ville de Bruxelles. Simultanément, j’ai été programmé tous les week-ends pendant 2 ans au « Grenier aux Chansons » où j’occupais une chambre… au-dessus du Grenier. J’ai donc très tôt pu vivre petitement des métiers de la scène.

Pourtant, vous allez l’abandonner, la scène.
J’avais une autre passion dans ma vie : l’histoire et la politique au sens large de l’engagement militant. A 20 ans j’ai pris conscience qu’il ne suffisait pas de dire mes « protestations » dans mes chansons engagées pour faire changer les choses. Il fallait agir. J’ai donc pendant 5 ans abandonné la scène pour m’engager à l’hebdomadaire « Pour ».

Que retenez-vous de cette période ?
Cela m’a donné une connaissance de mon pays dans toutes ses composantes : artisans, hommes politiques, ouvriers, syndicalistes, profs, infirmières, putains, flamands, ardennais… que je n’aurais probablement jamais côtoyés si j’étais resté dans ma tour d’ivoire… même si elle était plutôt en bois qu’en ivoire. Cela m’a aussi donné l’expérience du silence qui manque parfois à notre métier narcissique.

Le théâtre arrive plus tard.
Oui, j’ai attendu 35 ans et le succès de « Ode à ma Douche » pour suivre une formation de comédien à la Kleine Akademie.

Pourquoi une formation si tardive ?
Jusque-là j’étais plutôt autodidacte. Avec la maturité, on se rend compte que l’on manque de technique, de méthode. Une expérience curieuse de se retrouver mêlé, à 35 ans, quand on a déjà connu un joli petit succès public, à de jeunes apprentis comédiens ; un appel à une forme de modestie renouvelée.

Vous êtes difficilement classable. Vous êtes une sorte de melting-pot belgo-belge, de zinneke culturel à la fois auteur, chanteur, comédien. Où vous sentez-vous le mieux ?
Nous vivons dans un petit pays où pratiquer la polyculture intensive et avoir plusieurs cordes à son arc est un moyen de survivre en les pratiquant toutes alors qu’aucune d’entre elles ne m’aurait permis de vivre.

Et le cinéma ?
J’ai eu la chance de pouvoir jouer dans  « La Raison du plus faible » de Lucas Belvaux et de gravir les marches du Festival du Cannes.

Quel effet cela vous a-t-il fait ?
C’est très gratifiant… mais ce l’est encore plus d’être applaudi par le public pendant 10 minutes à la fin du film. Les éminences politiques belges de la culture avaient organisé une réception comme ils le font souvent à Cannes. C’est paradoxal ; quand on téléphone dans un ministère en Belgique, on a du mal à trouver quelqu’un avant 11h00 ou après 15h00 ; mais à Cannes, ils trouvent toujours 200 personnes pour aller faire des enquêtes sur le terrain !... Aucun des 5 acteurs belges présents dans le film n’avait été convié à la réception !... Une belle illustration de l’indifférence pour les artistes.

Vous avez sorti une dizaine d’albums... et quasi pas de passage radio. Pourquoi ?
C’est le quotidien de tous ceux qui s’autoproduisent. Il est impossible de faire carrière chez nous si l’on n’a pas d’abord été adoubé par Paris. Nous trainons une sorte de complexe provincial alors que le monde culturel étranger nous renvoie une tout autre image : la France reconnaît aux artistes belges un vrai talent propre. Cela m’a rendu mélancolique pendant longtemps ; c’est le propre et la vertu des mauvaises herbes qui poussent partout et n’importe comment de posséder une capacité de résistance incommensurable. Quand on observe les nations en devenir ou en déliquescence, on constate que celles qui ont une chance de résister et de survivre sont celles qui sont capables de fusionner un projet culturel avec un projet national nourri par l’histoire. Aujourd’hui, la Catalogne, comme la Flandre vont vers l’indépendance pour ces raisons-là. Pour cette même raison, la Belgique est un des enfants malades de l’Europe et, dans sa version biculturelle, sans doute condamnée à disparaître. Parce que nous partageons un espace culturel commun, nous connaissons mieux les auteurs, comédiens et chanteurs français que les artistes compatriotes néerlandophones qui vivent à quelques kilomètres de nous. Il y a des films qui font 1 million d’entrées en Flandre dont nous ne connaissons même pas le nom à Bruxelles ou en Wallonie.

Vous avez d’ailleurs eu le projet de créer un spectacle en néerlandais.
Oui, je voulais créer « Waarom spreek-ik vlaams als een spaanse koe ? »  (Pourquoi je parle flamand comme une vache espagnole ?). Cela ne s’est pas fait. Malgré 10 années de cours à l’école et mon passage à la Kleine Akademie, j’éprouve une véritable difficulté à m’exprimer en néerlandais, comme en anglais d’ailleurs. Trois de mes quatre grands-parents sont d’origine flamande. A la maison, quand ils voulaient que nous ne comprenions pas, ils échangeaient en néerlandais. Le néerlandais était donc la langue qu’on utilisait pour ne pas se faire comprendre. Cela laisse des traces sans doute. Mais c’est dommage parce que c’était un beau sujet. Peut-être sortira-t-il un jour.

« Ode à ma douche », plus de 300 représentations.
Oui, et une reprise au Théâtre des Martyrs en décembre, 25 ans après sa création. Un spectacle qui cassait les codes du tour de chant traditionnel,  une micro-révolution au moment de sa création. Dans un décor de salle de bain, je chantais ma première chanson à poil et faisais un strip-tease à l’envers. Quand j’ai présenté ce spectacle à mes amis et collaborateurs habituels, ils avaient l’impression d’assister à un suicide en direct, une sorte de rite sacrificiel qui annonçait la mort de l’artiste. Il a donc fallu que je produise moi-même le spectacle ; ce fut aussi le cas pour « Le Cimetière des Belges » qu’aucune institution n’a voulu programmer ; je l’ai donc produit moi-même et l’ai joué pendant 4 mois devant des salles pleines à Bruxelles.

Vous réitérez aujourd’hui en voyageant avec votre chapiteau pour « A la Frite ».
Une sorte de rapport nomade au spectacle qui me permet d’aller rencontrer les gens là où ils sont. Il n’est pas facile de pénétrer dans les théâtres institutionnalisés avec mes types de spectacles. Une porte s’ouvre tous les trois ans ; mais moi je dois créer chaque année si je veux manger tous les jours. Je suis obligé de produire car ce sont mes seuls revenus.

Vous êtes la preuve que le burlesque assumé n’est jamais ridicule. Est-ce que vous vous mettez des limites.
Vous découvrez, je suppose, qu’il y a une énorme différence entre ce que je suis dans la vie et ce que je suis sur scène. J’ai donc dû me faire violence pour oser tout sur un plateau alors que dans la vie je suis plutôt timide et réservé. J’aime les gens mais je suis agoraphobe. La distanciation de la scène me rassure.

Votre rapport au public dans « A la Frite » n’est pas un rapport traditionnel. Vous installez une vraie complicité.
Oui. Mais cela reste un rapport scène-salle avec ses codes. 

Votre duo avec Michel Carcan fonctionne à merveille. Vous aimez avoir un partenaire sur scène ?
J’ai aussi connu le « seul en scène ». Mais c’est chouette d’avoir un partenaire. On a travaillé plus de 6 mois à table pour trouver un langage qui coule de source, une sorte de naturalisme loufoque, surréaliste et ironique. Rire à table de ce qu’on écrit quand on est tout seul, c’est difficile. J’aime avoir un partenaire, même dans la phase d’écriture.

Vous avez vraiment fait le tour de la question, envisagé tous les aspects du quotidien des frituristes. Tout y est passé au crible : les matières premières, les odeurs, le tri des déchets, les problèmes environnementaux… Y-a-t-il beaucoup de choses que vous avez abandonnées ?
Oui, on a jeté pas mal. On a mené une vraie enquête sociologique, rencontré quatre tenanciers de friteries à plusieurs reprises. Il y a un an, à l’occasion du Mondial de foot, on s’est installé à proximité d’écrans géants et on a fait nos propres frites pour expérimenter la production en grosse quantité dans une ambiance de fête. Il a fallu choisir l’équipement, la friteuse, enquêter sur les ingrédients.
Il y a un paradoxe dans la frite qui rapproche du théâtre. Après tout, la frite ce n’est jamais qu’une pomme de terre plongée dans de l’huile bouillante. Le pain c’est la même chose : ce n’est jamais que de la farine, de l’huile et de l’eau. Comment se fait-il que certains font du pain délicieux et d’autres du pain dégueulasse ? Sur la scène, ce ne sont jamais que des êtres humains dotés d’une voix et d’un corps.  Pourquoi chez certains cela sonne juste et chez d’autres pas ? Comme quoi, les choses les plus simples ne sont pas nécessairement les plus faciles.

Vous êtes le papa d’un petit garçon qui a aujourd’hui 8 ans. Qu’est-ce que cela a changé dans votre vie ?
Je suis un enfant de divorcés. J’ai été élevé par un beau-père qui ne m’aimait pas. Les relations ont toujours été tendues voir extrêmement violentes. Il a donc fallu longtemps et quelques années de psychanalyse pour que je me fasse à l’idée de la paternité. Et puis il a fallu trouver une maman. Je vis en couple depuis 15 ans avec Laurence Warin. Nous avons voulu cet enfant ensemble. C’est donc un immense bonheur pour elle et pour moi. Evidemment ça change la vie. Je suis devenu plus casanier. Le quotidien doit s’organiser autour de l’enfant. Mais surtout ça donne un sens à sa propre vie. Nous sommes aussi « famille d’accueil » un week-end sur deux et pendant les vacances pour un petit garçon qui a l’âge de Sam et s’appelle Léart.

Vous avez la frite, Claude Semal ?
Oui. Je ne l’ai pas toujours eue. Autour de la quarantaine, quand on fait la tournée des 25 centres culturels pour vendre son spectacle, on se pose vraiment la question de savoir si on va  faire ça toute sa vie. Il faut retrouver le plaisir, la joie de se retrouver tous les soirs sur une scène. Ce n’est jamais la reconnaissance extérieure qui va pouvoir nourrir notre énergie propre. Oui, depuis une douzaine d’années, j’ai rallumé la flamme du petit moteur intérieur qui me fait avancer… jusqu’à mourir en scène, comme Molière.

Pas tout de suite, quand même ?
Pas tout de suite.    


LES QUESTIONS JUKE BOX


Si on passe en revue les chanteurs belges, qu’y-a-t-il en vous de Brel ?...Une consanguinité sudoripare d’abord. Cette capacité propre au café-théâtre de mêler des veines comiques, sentimentales, poétiques, émotionnelles, satyro-politiques. Mais j’ai été plus influencé par des gens comme Brassens, Boris Vian, Bob Dylan, la vague protest-song.

De Jean-Luc Fonck ? Un certain sens de la déconnade.

De Julos Beaucarne ? Une grande proximité. Julos est le chantre de la Wallonie, comme André Bialek le chantre de la Belgique. En tant que Bruxellois, je me sens orphelin d’un destin partagé avec un peuple, une vraie communauté. Ça ne me suffit pas d’être d’une ville, d’un quartier.

D’Adamo ? Peut-être rien. C’est un type gentil… et il m’arrive de l’être.

Du Grand Jojo ? J’aime et ne dénigre pas son talent de la chanson populaire qu’on chante dans les cafés.

De Mauranne ? J’ai eu la chance de l’avoir comme choriste pour mes premiers albums. Elle a tout ce que je n’ai pas. Elle fait partie de ces chanteuses qui réussissent grâce à leur voix alors que j’ai plutôt réussi malgré la mienne. C’est une extraordinaire musicienne qui a bénéficié très vite de la reconnaissance de la France. Ceci dit, il faut être prudent avec la notoriété. Claude Nougaro s’est fait virer de sa maison de disques.

Y-a-t-il quelque chose en vous de Stromae ? C’est quelqu’un que j’apprécie énormément. Je trouve audacieux de faire se rencontrer l’héritage de Brel et le langage du rap ; être arrivé à exister médiatiquement comme il l’a fait à travers les réseaux sociaux ; ses chansons, ses thématiques. Il a la fois un côté grand public… et des orchestrations bricolées avec des petites trompettes. Audace, inventivité, générosité. J’aime beaucoup. On nous enferme trop souvent dans des bulles, des chapelles, alors que la musique est un langage universel qui dépasse les genres. Le rap a été pour la jeunesse une formidable réappropriation de la langue en tant que moyen d’expression.


Propos recueillis par Roland Bekkers

PARCOURS
Claude Semal a participé à sept spectacles au Théâtre Le Public :
2003 Les Chaussettes célibataires
2004 Le Candidat
2006 S(e)mall Belgian Cabaretje
2009 Ubu à l’Elysée
2009 Semal en concert
2009
Cet Enfant

2014 Finement joué


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