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JANVIER 2016

Peggy Thomas

Peggy Thomas, questionner le vivre ensemble




« Il faut se méfier des eaux dormantes » dit le dicton. Peggy Thomas, un être à l’apparence fragile, réservée, posée, sans effusion de voix… Rencontrer Peggy Thomas, c’est découvrir le parcours atypique d’une femme cultivée, volontaire, déterminée, obstinée même, bien décidée à ne pas laisser au bord du chemin les perles que la vie dépose au gré des rencontres comme autant de phares humains pour éclairer sa propre route.   


Vous êtes bretonne, née à Quimper. Vous avez fait vos études de lettres à Rennes. En 2000, vous arrivez en Belgique. Pourquoi ?
Je voulais suivre une formation d’acteur professionnel. J’avais échoué – beaucoup de candidats mais peu d’élus – à l’examen d’entrée au TNB (Théâtre National de Bretagne) qui constituait, à l’époque, la seule école pour toute la Bretagne. Une amie qui était à l’Insas m’a proposé de suivre une formation en Belgique. J’ai donc passé la frontière et suis entrée dans la classe de Frédéric Dussenne au Conservatoire de Mons.

Frédéric Dussenne, c’est un choix ou un hasard ?
Les deux. Vu mon rapport aux textes, quelqu’un m’avait fortement conseillé de rencontrer Frédéric. Comme souvent dans la vie, ce fut « the right man at the right place » et je me suis pleinement  épanouie à son contact.

Vous sortez en 2005 et…
… comme tout le monde, je galère. Je me rends compte très vite qu’il va falloir être proactive pour émerger. Je propose donc à mes camarades de classes de travailler sur un texte de Lars Norén « Bobby Fischer vit à Pasadena ». Entretemps Frédéric Dussenne me propose un rôle dans « Le Jour de la Colère » de Thierry Debroux au Théâtre du Méridien. La directrice, Catherine Brutout, me remarque et me propose quelques rôles les saisons suivantes.

En même temps, vous poursuivez le travail sur le texte de Lars Norén.
Nous déposons une demande de subvention auprès du CAP (Conseil d’Aide aux Projets Théâtraux) et, à notre grande surprise, elle est acceptée. Nous produisons le spectacle au Théâtre des Tanneurs et obtenons, conjointement avec deux autres productions, le prix du spectacle découverte. Une vraie « success story » pour un projet qui se voulait modeste. Nous fondons la Compagnie des Orgues et travaillons ensemble pendant 10 ans.

Lorsque Xavier Lukomski quitte la direction des Tanneurs, vous posez votre candidature.
J’aimais le lieu et le quartier. Qui ne tente rien n’a rien, dit-on !... De plus, il me semblait juste que des jeunes puissent eux aussi revendiquer la direction d’un théâtre. J’ai constitué un dossier de candidature qui m’a beaucoup appris sur les arcanes théâtraux. L’échec ne m’a donc pas pesé. L’expérience m’avait nourrie.

Trois ans plus tard, vous devenez la directrice du Théâtre de la Vie.
Assez paradoxalement, les deux théâtres possédaient un point commun. Tous deux s’inscrivaient dans un quartier. Artistiquement, j’avais envie de soutenir la jeune création et concomitamment je voulais travailler à l’insertion de ce lieu culturel dans son environnement immédiat : la commune de Saint-Josse-ten-Noode. Je voulais sortir du cocon : nous, artistes du spectacle, sommes principalement branchés sur la matière ; nous passons nos journées dans des salles noires où nous côtoyons d’autres artistes. Je voulais avoir un contact plus concret avec les gens.

Entretemps, en 2010, vous aviez remporté le prix Jacques Huisman qui vous avait permis d’assister Joël Pommerat dans la création de « Ma Chambre froide ».
C’était la troisième fois que je rentrais un dossier pour l’obtention de ce prix. Je pratiquais la mise en scène mais sans réelle formation de metteure en scène. Pour me nourrir, il me semblait donc indispensable de rencontrer d’autres metteurs en scène à travers l’assistanat. Je connaissais le travail de Joël Pommerat, mais vivre 16 semaines de répétitions à ses côtés, ce fut un vrai cadeau.

Qu’a-t-il donc de particulier ?
Joël est extrêmement humain et doux, mais il a une exigence absolue. Ce qu’il demande à ses collaborateurs va très loin et il n’a de cesse de refaire et de refaire pour atteindre son but. Il est constamment en attente, en demande. Il peaufine, améliore, corrige, modifie, poursuit jusque dans le détail. J’étais chargée, entre autres, des photocopies. Je me souviens avoir photocopié jusqu’à 25 versions différentes de la même scène. Exigence drastique donc, mais dans le respect et l’humanité, sans jamais lâcher personne. Une intensité de travail rare, cadrée, mais vivifiante par son humanité. Je me suis rendue compte combien, en tant que metteure en scène, j’étais timide dans mes demandes, combien je me contentais de peu.

Revenons au Théâtre de la Vie et parlez-moi du lieu ?
Atypique. Une petite salle (80 places) – une jauge parfaite pour accueillir les projets de la jeune création, sans trop de prise de risque financier – et une acoustique formidable, de quoi satisfaire mon amour de la langue et du texte. De plus, l’exiguïté du lieu provoque une interaction permanente entre les artistes, la technique et l’administration, une chaleur ambiante naturelle.

Le bilan au terme de vos trois premières années ?
Cela se passe bien. On est contents. Une bonne dynamique d’équipe. De belles rencontres humaines.

C’était un fameux défi de succéder à Herbert Rolland qui avait été à la tête du lieu pendant 40 ans. 
Je n’ai pas eu la chance de le rencontrer mais je suis sensible à l’esprit qu’il a donné au lieu, aux rapports humains qu’il a installés. C’était un homme fidèle artistiquement, attentif à la convivialité. Je me sens en adéquation avec le passé de ce théâtre.

Vous continuez à mettre en scène… mais pas dans votre propre théâtre. Pourquoi ?
J’ai besoin de dissocier mes activités. Diriger le lieu fait appel à certaines de mes compétences et mettre en scène à d’autres. Mettre en scène dans un autre lieu me permet d’être pleinement concentrée sur mon travail artistique, là où, au Théâtre de la Vie, je serais rattrapée par mes préoccupations de directrice. Cela me donne aussi une parfaite intégrité financière. L’enveloppe artistique du Théâtre de la Vie est ainsi entièrement partagée entre les artistes de la saison.

Qu’est-ce qui vous a fait choisir le Théâtre Le Public pour produire « L’Échange » de Claudel ?
Ce n’est pas moi qui ai choisi, c’est Le Public qui nous a accueillis. L’histoire de « L’Échange » commence il y a 5 ans, lorsque les quatre acteurs viennent me voir et me demandent de monter le spectacle avec eux. Après un temps de réflexion – ce n’est pas tous les jours qu’on aborde Claudel – et convaincue par la distribution parfaite, j’accepte. Pendant 5 ans, nous essayons de produire ce spectacle, qui mûrit au fil des répétitions. Il y a deux ans, nous rencontrons Patricia Ide qui décide de nous programmer. C’est la première fois que je travaille au Public et suis agréablement surprise de la confiance qu’ils nous font. Certes, Claudel c’est la garantie d’un texte de qualité, encore faut-il le défendre et le faire passer. Merci pour cette confiance.

Votre conception de la mise en scène est-elle influencée par Dussenne et par Pommerat ?
Certainement. Frédéric est un « maître » dans tous les sens du terme… et sa première mise en scène fut « L’Échange » de Paul Claudel. Ça ne s’invente pas !... Je pense toutefois, en toute modestie, que je me suis approprié le texte et y ai apporté ma lecture personnelle.  

Votre passé de comédienne influence-t-il votre travail de mise en scène ?
Certainement. Cela dit, en montant « L’Échange », j’ai pris conscience que, éloignée de la pratique de la scène en tant qu’actrice depuis 10 ans, je perdais peut-être de vue certains enjeux. Un questionnement intéressant… qui ne signifie pas pour autant un prochain retour sur le plateau.  

Vous avez, comme tout le monde, vécu cette période d’alerte 4 qui a suspendu la vie normale de ce pays, en ce compris dans sa dimension artistique. Quelle est la place du théâtre dans le monde aujourd’hui ?
Les événements témoignent d’un problème sur la question du « vivre ensemble » dans ses dimensions politiques, économiques, sociales, intimes. À différents degrés, cette question est au centre de nos vies. Le théâtre est une activité collective, dans sa phase de travail ou sa phase de présentation. Pratiquer le théâtre, c’est questionner constamment le « vivre ensemble », c’est se mettre en question, échanger, confronter, écouter, tolérer. Venir au théâtre, c’est partager un événement collégial et convivial, écouter ce qu’un auteur veut me transmettre au travers des acteurs. Mais c’est aussi rire, pleurer, vibrer ensemble ; c’est se sentir en phase avec les autres.

N’est-ce pas élitiste, réservé à quelques-uns ?
C’est le combat qu’il faut mener. Il faut ouvrir les portes de nos théâtres et permettre à tous de s’y sentir chez eux. Un travail colossal et de longue haleine qui se gagne au coup par coup, personne par personne. Je suis admirative par exemple du travail d’Isabelle Pousseur au Théâtre Océan Nord, un travail qui mériterait un meilleur soutien des pouvoirs subsidiants.

La France ne vous manque-t-elle pas ?
Ma Bretagne me manque… la mer, les rochers… et ce n’est pas pour rien que « l’Échange » se passe au bord de l’Océan ; j’y retrouve mon biotope. Mais je ne pourrais pas réaliser là-bas, ce que je réalise ici. Et puis, par mes études et mon travail, je me suis tissé un réseau ici. Je me sens une artiste de la Communauté française de Belgique.

Qu’avez-vous envie de dire aux jeunes qui veulent se lancer dans la carrière théâtrale ?
Ce n’est pas un choix que l’on fait ; on est choisi !... Il faut écouter cela et surtout ne pas se poser trop de questions. C’est un métier difficile, concurrentiel, personnellement confrontant : ce que nous sommes, c’est la matière sur laquelle on travaille chaque jour, avec ses joies, ses douleurs et ses doutes. Mais c’est passionnant !... Et si on se sent appelé, il faut le faire.

Propos recueillis par Roland Bekkers

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L'Echange de Paul Claudel, à voir jusqu'au 20 février 2016


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