FEVRIER 2016
Laurent Capelluto
Laurent Capelluto, moments de véritéLe cinéma et le théâtre se partagent depuis plusieurs années Laurent Capelluto. Ce comédien belge, que les Français croient français – comme toujours quand on sort du lot – a trouvé en Belgique le terreau d’une identité composite.
Après avoir joué en 2007 dans « Papiers d’Arménie » de Caroline Safarian, nous le retrouverons avec bonheur au Théâtre Le Public dans deux spectacles en février, mars et avril 2016 : la lecture spectacle de « Pour en finir avec la question juive » de Jean-Claude Grumberg et la création « Tristesse animal noir » de Anja Hilling dans une mise en scène de Georges Lini.
Vous avez 44 ans. Vous êtes né au Zaïre de parents italiens. Vous avez grandi à Bruxelles. A la fin de vos études secondaires, vous avez fait 4 ans d’études supérieures avant d’entamer votre formation théâtrale. Vous n‘étiez pas sûr de vous ou c’était une obligation parentale ?
Ni l’un ni l’autre. J’étais un enfant « adapté ». J’ai compris assez tôt ce que les adultes attendaient de moi. Alors que j’avais le désir de faire du théâtre depuis ma 11ème année, je n’ai jamais réussi à l’exprimer clairement. Il me paraissait évident que je devais faire des études et une carrière prestigieuses, mais « comédien » ne correspondait pas à cela. A 22 ans, le hiatus entre « là où j’étais » et « ce que je voulais faire profondément » a été trop grand. Il a fallu me rendre à l’évidence.
Vous dites qu’à 11 ans vous est venue la passion du théâtre. A quelle occasion ? Avez-vous un souvenir précis ?
Je faisais du théâtre dans un mouvement de jeunesse. Lors du spectacle annuel, je jouais dans une scène plutôt dramatique. Je me souviens très précisément d’un moment de silence. Un instant de grâce, suspendu, aérien. Quelques secondes d’écoute incroyable, en communion parfaite avec les partenaires. Bien plus que les applaudissements, c’est ce moment-là que j’ai apprécié. J’ai pris conscience qu’à cet instant j’étais dans une « vérité » qui ne correspondait pas au quotidien de ma vie.
Habituellement, les comédiens hésitants ou parentalement contraints optent plutôt pour des études de lettres. Vous choisissez une formation scientifique (2 ans de médecine et 2 ans d’ingénieur). En quoi cette formation vous a-t-elle été utile ?
Je n’ai connu que les candis, c’est-à-dire les grands processus éliminatoires. J’ai passé la plus grande partie de ma scolarité dans une école très élitiste, l’Athénée Robert Catteau pour ne pas la nommer ; j’étais formaté concours, palmarès, réussite. Le choix était donc dicté par l’image, le prestige de la formation. Médecine ou Solvay !... Un choix immature, superficiel… Quoique bien entouré, je garde de ces années un énorme sentiment de mal être, de solitude. Je n’étais pas à ma place mais il fallait paraître, vivre des joies sans réelle satisfaction. Ceci dit, ces années ont aussi été formatrices. Quand j’ai connu des incertitudes, des peurs, des interrogations dans ma formation théâtrale, je n’ai jamais douté que j’étais à ma place ; pour garder la confiance, il fallait que j’aie expérimenté le contraire !
Vous entrez au Conservatoire chez Pierre Laroche et Charles Kleinberg. Quel souvenir gardez-vous de cette période ?
Ce fut une renaissance, des rencontres essentielles humainement et artistiquement. Pierre Laroche s’était entouré de chargés de cours (Frédéric Dussenne, Julien Roy, Pietro Pizzuti, Francis Besson) qui avaient tous leur esthétique théâtrale mais qui s’accordaient sur un discours commun. Pierre Laroche avait un regard, une curiosité pour chacun de ses élèves ; son enthousiasme nous donnait de la légitimité. Et puis, c’était une période de grande liberté : on abordait tous les rôles sans contrainte, sans la pression du résultat immédiat.
Vous entamez votre carrière au National, vous jouez au Méridien, au Z.U.T (Zone Urbaine Théâtre), mais surtout vous rencontrez Dominique Serron et l’Infini Théâtre dont vous devenez un « sociétaire ».
C’est ma famille artistique, en effet.
Qu’a de particulier l’Infini Théâtre ?
Cela tient à la personnalité assez exceptionnelle de Dominique Serron : metteure en scène, directrice d’acteurs, pédagogue formidable. Elle a une très grande cohérence entre ce qu’elle enseigne (académies, humanités artistiques, conservatoire, IAD…) et son travail de plateau : la cohérence de « l’artiste dans la cité ». En termes de compagnie, c’est un endroit où l’on prend le temps d’essayer des choses. Ses productions tournent beaucoup et longtemps ; elle est fidèle en cela à l’idée que l’argent public qui finance le projet retourne au plus grand nombre. Humainement et professionnellement, Dominique a un discours extrêmement construit ; mais elle se remet sans cesse en question, elle expérimente et ne se contente pas de rester dans le discours.
Parallèlement, vous entamez une carrière au cinéma, mais vous n’abandonnez pas le théâtre. Deux univers artistiques différents. Qu’est-ce qui vous intéresse dans chacun d’eux ?
Ce sont deux manières très différentes d’utiliser le même outil. Le rapport au temps est très différent. Je disais, en parlant de Dominique Serron, mon bonheur à prendre le temps de tester, d’essayer…. Cela n’existe pas au cinéma. Le temps coûte très cher ; il faut donc être prêt au bon moment. L’efficacité immédiate.
Pierre Laroche nous disait : « La maîtrise technique n’est pas une fin en soi. Elle permet à terme le lâcher-prise, le laisser-faire, condition indispensable à la création ; la création naît de la contrainte, mais n’existe que si l’on s’abandonne ». Au cinéma, les contraintes techniques sont très importantes. Et, pour l’acteur, le travail est parcellaire : il n’y a pas à s’inquiéter de savoir si l’on sera capable de « refaire » la même scène le lendemain si la prise a été bonne.
A la différence du théâtre, le film ne se travaille pas chronologiquement ; la « mise en ordre », c’est l’affaire du monteur à la fin du tournage. Au théâtre, le personnage se construit scène après scène. Le rôle mûrit de répétition en répétition… et cette maturation se poursuit au fil des représentations, surtout si l’on a la chance – c’est le cas avec l’Infini Théâtre – d’assurer de longues séries de représentations. En ce qui me concerne, le travail en profondeur, c’est au théâtre qu’il se fait… La difficulté, c’est de tenir la distance, de recréer son personnage chaque soir.
Au théâtre et au cinéma, le travail est passionnant.
Votre double carrière se partage entre la France et la Belgique. Vous semblez pourtant particulièrement attaché à notre pays.
D’abord, parce que j’y ai ma femme et mes enfants. Mes parents sont d’origine italienne, la famille de mon père a des origines turques et celle de ma mère égyptiennes. Maintenant nous sommes tous Belges. Mon identité est donc composite. En Belgique, je retrouve ce souci d’une identité à définir sans cesse ; ce n’est pas pour rien qu’elle est le berceau du surréalisme et de l’autodérision. Rien à voir avec la « tradition française ». En France, il y a un attachement aux codes sociaux, à la hiérarchie sociale. Cela se sent sur les tournages.
Votre carrière cinématographique vous a valu plusieurs distinctions : Le Magritte du meilleur comédien dans un second rôle en 2014 et des nominations en 2011, 2012 et 2016 (ndlr : au moment de l’interview, nous ignorions encore que Laurent allait remporter la Magritte deux jours plus tard) dans cette même catégorie. Ajoutez-y une nomination au César du meilleur espoir masculin pour un « Un Conte de Noël » d’Arnaud Desplechin en 2009. Ces palmes sont-elles importantes ?
Concrètement, en termes de propositions de contrats, non !... Mais en termes d’égo, c’est très agréable… et très bon d’en profiter… avec lucidité et modération. C’est la reconnaissance de ses pairs. En 2014, ce fut une vraie surprise, un moment de joie profonde.
Votre carrière est bien remplie. Qu’est-ce qui détermine vos choix ?
Dominique Serron et l’Infini Théâtre occupent une place à part. C’est ma maison, mon lieu de ressourcement. Je suis donc preneur de tous leurs projets. J’ai besoin de spectacles qui racontent des histoires. Dans une équipe théâtrale, chacun a envie de raconter la même histoire mais chacun à sa manière, pour ses propres raisons. Le travail est de mettre en accord ces subjectivités pour transmettre l’histoire au public avec l’espoir de leur faire passer un bon moment et peut-être de changer leur regard sur le monde. Cela me procure un vrai sentiment d’utilité ; cela donne sens à mon travail.
J’ai aussi besoin que le metteur en scène au théâtre ou le réalisateur au cinéma ressente une vraie urgence à défendre son projet ; un projet de plus, dans la routine, ça ne m’intéresse pas. L’urgence du moment est essentielle. Cette unique raison justifie que, au cinéma, j’aie parfois préféré des rôles insignifiants aux rôles plus conséquents. J’ai ressenti cette urgence chez Michaël Haneke pour son film « Amour » dans lequel je n’avais qu’une réplique. Et ce tournage m’a vraiment nourri.
A voir vos palmarès, vous semblez abonné aux seconds rôles ? Ne rêvez-vous pas de mieux ?
J’ai fait deux films dans lesquels j’avais un premier rôle, mais ils n’ont pas marché. Cela ne va pas de soi. Il faut d’abord que le réalisateur pense à moi pour un premier rôle ; il faut ensuite que ce choix soit avalisé par le producteur, que la tête d’affiche soit « bankable » pour financer le film. Aucune frustration donc. Par contre, je veille à différencier mes rôles secondaires. Je préfère une partition petite mais avec quelqu’un d’intéressant.
Revenons au théâtre. Vous avez participé à l’aventure de Georges Lini au Z.U.T. (Zone Urbaine Théâtre). Vous sentiez une urgence ?
Tout-à-fait. Georges, comme Michel Kacenelenbogen, ont une telle « envie » de théâtre qu’ils sont prêts à prendre tous les risques. Georges partait du constat que lorsqu’une jeune compagnie avait un projet théâtral qui avait reçu l’aval et le soutien financier de la CAPT (Commission consultative d’Aide aux Projets théâtraux), il était très difficile de trouver une institution où le jouer. En 2004, poussé par sa passion du texte contemporain, il décide de transformer un ancien bâtiment industriel situé en plein cœur de Molenbeek-St-Jean en petit théâtre de 60 places et d’y accueillir les jeunes compagnies. Pendant plusieurs années, les créations recueillent un soutien unanime de la presse et du public. J’ai participé en tant qu’acteur et metteur en scène à plusieurs créations. De très grands souvenirs, inconfortables mais magnifiques. Au bout de quatre ans, faute de subsides, il est contraint de mettre la clef sous le paillasson. Et il n’est pas le seul. La politique de centralisation des aides aux grandes structures, même si elle a une logique financière, dessert la diversité de la création.
Vous retrouvez Georges Lini dans « Tristesse animal noir ». Pouvez-vous nous parler de la pièce ?
Un texte particulier, mais vraiment extraordinaire. Une bande de trentenaires-quadragénaires bobos organisent un pique-nique en forêt. Mais un terrible incendie ravage cette forêt. Cette expérience va les faire passer de leur statut « polissé » à celui d’animaux en survie. Le chaos va les rapprocher de leurs instincts, du sens profond de la vie. Si l’esthétique sera importante, ce sera surtout un travail de texte.
Parallèlement, vous présenterez également une lecture-spectacle « Pour en finir avec la question juive » de Jean-Claude Grumberg, aux Planches ?
Oui. J’aime l’écriture brillante, intelligente, et l’humour de Grumberg. Et puis le propos m’intéresse :les préjugés, le regard que l’on porte sur l’autre, la peur de la différence…
Vous avez deux enfants. S’ils vous disent qu’ils ont envie de faire du théâtre que leur répondez-vous ?
Pour l’instant je suis à l’abri parce qu’ils sont à l’âge où l’un a décidé d’être footballeur et l’autre chanteuse. Je suis un grand adepte de la liberté. Mais le seul vrai acte d’autorité que je ferais par rapport à leur choix de carrière serait de ne pas décider à 18 ans. Je souhaiterais qu’au terme de leurs humanités, ils passent un an à faire des petits boulots pour se payer un voyage et découvrir le monde. J’aimerais que leur choix professionnel soit éclairé par cette expérience de vie.
Votre grand-mère a joué un rôle important dans votre vie.
Ma grand-mère maternelle était une femme formidable, d’une fantaisie profonde qui lui permettait de se jouer de la vie et de ses difficultés. Dans sa grande sagesse elle me confiait qu’il fallait prendre les choses sérieuses avec fantaisie et les choses fantaisistes avec sérieux. Elle m’incitait aussi au « tour du fou » quotidien : chaque jour, il est salutaire de vivre un moment où l’on fait le con. C’est essentiel pour la santé mentale.
Vous avez fait un séjour au Théâtre Le Public en 2007-2008 pour y jouer « Papiers d’Arménie ». Vous le retrouvez aujourd’hui. Le théâtre a-t-il changé ?
Nous ne sommes qu’au début des répétitions. Mais dès le premier jour, j’ai retrouvé ce qui m’avait marqué lors de mon passage précédent : le sens de l’accueil. C’est une vraie maison de théâtre où chaque personne se met au service des spectacles que l’on produit ou que l’on accueille. J’ai connu dans certaines institutions des ambiances « dépressogènes ». Il règne ici une dynamique cohérente qui fait que l’on se sent immédiatement chez soi. Et puis, jouer au Public c’est être assuré d’avoir un public nombreux ; ce n’est pas négligeable pour un comédien.
Sous des allures sérieuses qui lui font privilégier des personnages denses et profonds, Laurent Capelluto cache un large sourire généreux. Fidèle à sa grand-mère, il n’oublie pas le « tour du fou » journalier. Vous en doutez ?... Regardez la capsule « La Veille du 1er jour de tournage » réalisée par Manu Coeman pour la Cérémonie des Magritte 2014. Il y interprète tous les rôles. Vous mesurerez ainsi l’étendue de son immense talent.
Propos recueillis par Roland Bekkers
EN CE MOMENT
Pour en finir avec la question juive de Jean-Claude Grumberg, du 25 février au 5 mars 2016
Tristesse animal noir de Anja Hilling, du 15 mars au 30 avril 2016
PARCOURS
Laurent Capelluto a participé à un spectacle au Théâtre Le Public :
2007 Papiers d'Arménie ou sans retour possible
NOMINATIONS Cinéma
2009 Nomination aux César (Meilleur espoir masculin) pour Un conte de Noël d'Arnaud Desplechin2011 Nomination aux Magritte (Meilleur comédien dans un second rôle) pour OSS 117 : Rio ne répond plus de Michel Hazanavicius
2012 Nomination aux Magritte (Meilleur comédien dans un second rôle) pour Où va la nuit de Martin Provost
2014 Lauréat aux Magritte (Meilleur comédien dans un second rôle) pour Le temps de l'aventure de Jérôme Bonnell
2016 Lauréat aux Magritte (Meilleur comédien dans un second rôle) pour L'Enquête de Vincent Garenq
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