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Alexandre Trocki

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AVRIL 2016

Alexandre Trocki

Alexandre Trocki, chaleur humaine




Paradoxe ou modestie à la belge, le vedettariat est absent de nos scènes. Ils seraient pourtant quelques-uns à mériter ce titre, tant les qualités de nos comédiens sont unanimement reconnues, même au-delà des frontières. Certains, par leurs parcours populaires, sont bien connus du grand public. D’autres le sont moins. Alexandre Trocki est de ceux-là. Fidèle du Varia, des Tanneurs, du Groupov, on pourrait le croire réservé au « théâtre pointu ». Il n’en est rien.
Récemment, on a encore pu apprécier son talent dans un texte de Thomas Gunzig « Et avec sa queue il frappe ! » ou dans « Elisabteh II » aux côtés de Denis Lavant. Tandis que depuis 2001, il revient régulièrement au Théâtre Le Public : « Un tramway nommé désir », « Cosmétique de l’ennemi », « Indicible », « La Meilleure Volonté du monde », « Orphéon », « Les Hommages collatéraux » et, à présent, « Une veillée ».   


Qu’est-ce qui a déclenché en vous l’envie de faire du théâtre ?
Je suis arrivé dans cette vie comme un martien débarquerait sur terre ; je ne comprenais pas très bien ce que ce monde me voulait. J’ai vécu mon enfance comme une prison, certes dorée, mais prison quand même, sans rêve, sans évasion. J’avais pourtant des parents très aimants et je fréquentais de chouettes écoles, mais l’univers scolaire me paraissait carcéral. Mon père et ma mère travaillaient beaucoup, et mon père dès qu’il en avait l’occasion, m’emmenait au cinéma, au cirque, au spectacle. Ces rencontres avec les arts vivants m’interpellaient. Aussi, quand j’ai eu l’opportunité de « faire du théâtre » à l’école, je n’ai pas hésité. Particulièrement en humanité, à Uccle 1, où Jacques Kroitor nous proposait du théâtre de haut niveau. Ce furent les seuls moments scolaires où je me suis senti en adéquation avec moi-même.  
En sortant d‘humanité, je pensais encore qu’on naissait « acteur » - comme Alain Delon, Michel Simon ou Mickey Rourke - ou « commun des mortels ». Me considérant dans la seconde catégorie, j’ai donc entamé des études de droit jusqu’à ce que je comprenne que j’avais tout intérêt à faire ce que j’aimais.

Et vous entrez à l’Insas (Institut Supérieur des Arts du Spectacle).
Oui, après quelques errances.

Et là, c’est la vraie passion ?
Cela l’était déjà bien avant, mais l’Insas m’ouvre des horizons. Enfant et adolescent, j’avais une culture théâtrale très basique qui se résumait à « Au théâtre ce soir ». Pourtant, avec une dizaine de copains, nous avions pris librement un abonnement au National où je découvre, entre autres œuvres remarquables, le « Cyrano de Bergerac » mis en scène par Bernard De Coster avec un éclatant Jean-Claude Frison dans le rôle-titre.
À l’Insas, je côtoie des professeurs étonnants comme Jean-Marie Piemme, Arlette Dupont, Philippe Sireuil ou Michel Dezoteux… qui me font découvrir le théâtre allemand, anglo-saxon et les écritures contemporaines.

A votre sortie de l’Insas, en 1990, vous entrez au Théâtre Varia.
On dit toujours qu’au théâtre, il y a 1% de talent et 99% de travail. On oublie d’y ajouter le facteur chance. Quand je rentre à l’Insas, Philippe Sireuil, Michel Dezoteux et Marcel Delval qui y sont professeurs sont également directeurs du théâtre Varia nouvellement rénové. Trois jours après ma sortie de l’école, je signe un an et demi de contrat sur deux créations et une tournée en France de plus 100 dates. Ça fait rêver.

Le Varia restera votre maison pendant 10 ans.
Même plus. Aujourd’hui encore, j’y suis toujours attaché. Quand j’y retourne, j’ai toujoursl’impression de retrouver ma famille. J’ai des souvenirs magnifiques de rencontres d’acteurs et de metteurs en scène prodigieux. J’y ai fait mes gammes et j’ai pu y appréhender la matière théâtrale dans la diversité du répertoire.

Est-ce le répertoire ou la façon d’appréhender le théâtre qui vous séduit au Varia ?
Le tout. C’est d’être confronté à des matières colossales, comme travailler Shakespeare ou Claudel, découvrir des auteurs comme Schwab, aborder de grandes partitions. Je trouvais là une adéquation parfaite avec les formes de théâtre dont je rêvais.

Rien à voir avec « Au théâtre ce soir ».
Absolument rien. Même s’il y avait dans les retransmissions de « Au théâtre ce soir » des comédiens de grands talents.

Pendant toute cette période du Varia, vous êtes indissociable de Philippe Jeusette. Vous partagez quasi toutes les distributions pendant 10 ans au point qu’il devienne un ami intime. Qu’est-ce qui vous séduit chez lui ?
Sa rigueur, sa précision sa puissance et son humour.

En 2002, vous rencontrez le Groupov (*).
Même avant. Dans mon cursus à l’Insas, j’ai la chance de découvrir Jacques Delcuvellerie et c’est un choc. Son enseignement s’appuie sur une vraie méthode, comme dans la tradition des grandes écoles par exemple les Russes ou les écoles anglo-saxonnes. C’était une découverte et une confrontation à sa grande exigence dont on ne comprenait pas toujours toute la finesse et l’aboutissement. Plus tard, je découvre ses mises en scène de « L’Annonce faite à Marie » et de « La Grande Imprécation devant les murs de la ville ». Je comprends ce qu’il a voulu nous enseigner et j’ai surtout un coup de cœur phénoménal sur ce que cela produit comme émotion théâtrale.

Que vous a t’il apporté ?
Il a aiguisé l’artisan que j’étais. Une rencontre profonde, de l’ordre de l’intime. Je rejoins le Groupov sur une reprise de « Rwanda 1994 ».

Racontez-nous cela…
Je vois une pré-présentation du spectacle toujours en construction à Avignon. Je suis intimement bouleversé par le spectacle et notamment par la musique de Garrett List. Je suis émotionnellement troublé, j’ai l’impression que la terre vibre et tremble au son de la musique et des paroles qui sont proférées. Plus tard, je découvre le spectacle, finalisé cette fois, au National et la claque est encore plus forte, sans que je puisse expliquer pourquoi. J’intègre la troupe pour la tournée en Italie. À Turin, ville dont la famille de ma mère est originaire, je retrouve cette même sensation de terre qui vibre. Je sais qu’une partie de mes ancêtres russe, du mon père, a été exterminée pendant la seconde guerre mondiale mais je n’en fais jamais cas. Pourtant là, au cœur du Piémont, le soir, tard, dans ma chambre d’hôtel, après une représentation de six heures partagée notamment avec des rescapés du génocide rwandais mon corps se met à pleurer, pas la tête mais réellement le corps, viscéralement. Et Je comprends alors que le génocide perpétré dans les années 40 fait partie intimement de mon histoire. 

Pouvez-vous nous expliquer la méthode Delcuvellerie ?
Impossible en quelques mots. Il a la science d’amener le comédien à déverrouiller le corset protecteur dont il s’entoure pour atteindre le nécessaire. Lors de la préparation de « La Mouette », par exemple, il demande à chaque comédien de créer une improvisation dans le lieu du théâtre qui convient le mieux à son personnage, de la cantine au bureau du directeur. Surprise d’abord, émulation étonnante ensuite. Puis le spectacle se construit autour d’autres improvisations, dont un repas d’une soirée entière auquel sont conviés les différents personnages. L’art de créer l’osmose de l’équipe. 

Avec lui, vous vivez différentes expériences dont un spectacle-fleuve de 7 heures « Un uomo di meno ». Une performance ?
Pour cette pièce, Jacques Delcuvellerie a scindé le cerveau du personnage principal nommé Jack. Il en joue la partie du cerveau B, j’assure l’autre partie, le cerveau A. Cela crée une intimité particulière. Le spectacle se monte en 3 ans et aboutit à 7 heures de représentation.
Lors de la reprise à Liège, un an et demi plus tard, maîtrisant parfaitement la partition, je peux me concentrer principalement sur la pensée de l’écriture. Je découvre alors toute la subtilité de l’œuvre, une compréhension beaucoup plus profonde et donc une jouissance de pouvoir en exprimer toute la rhétorique. 

À partir de 2001, on vous voit régulièrement au Théâtre Le Public
Alain Leempoel, Michel Kacenelenbogen et moi-même avons en commun de sortir de la même école : L’Athénée Uccle 1 où Jacques Kroitor, professeur de latin, de français, de psychologie et surtout amoureux fou du théâtre a insufflé la vocation à bon nombre de comédiens comme Marianne Basler, François Vincentelli, Tania Garbarski et bien d’autres. Quand j’entre à Uccle 1, Alain et Michel en sortent. Je me suis toujours senti en filiation fraternelle avec eux. Je les ai donc retrouvés des années plus tard et depuis régulièrement avec grand plaisir.

On vous voit aux Tanneurs, au Varia, au Groupov… essentiellement du « théâtre pointu ». On ne vous voit pas sur des scènes plus populaires, au Parc, aux Galeries ?
Je ne pense absolument pas faire du théâtre pointu, je fais du théâtre tout court pour tous les publics. C’est comme la cuisine, j’aime découvrir des plats différents et suis toujours curieux d’en découvrir de nouvelles saveurs, de nouveaux aliments, de nouvelles combinaisons... Je suis ouvert à toutes propositions intéressantes et ne suis en tout cas rétif à aucune maison.

Vous êtes principalement interprète. Pourtant en 2007-2008, vous signez l’adaptation de « Hygiène de l’assassin », avec Philippe Jeusette, comme par hasard. Une autre corde à votre arc ?
J’ai adoré. Quand on connaît l’auteure pour l’avoir jouée, on sent le circuit de la pensée et cela facilite le travail d’adaptation, de réécriture.

Mais vous n’avez pas poursuivi.
J’aimerais écrire mes propres projets théâtraux.

Jamais tenté par la mise en scène ?
J’ai fait une tentative il y a quelques années en Suisse et cela pourrait revenir. J’aimerais surtout assurer la mise en scène de mes propres spectacles.

Quelles sont selon vous les qualités d’un bon comédien ?
L’humilité. Beaucoup de travail. La générosité. La rigueur.

Artiste ou artisan ?
Artisan parce que il faut des années et des années de travail pour parfaire son art et être au mieux de la possession de son outil. Mais tout vrai artisan n’est-il pas un artiste ?

Et les qualités d’un bon metteur en scène ?
Amener les acteurs au meilleur d’eux-mêmes, sans les étouffer mais en les dirigeant comme un chef d’orchestre. Ajoutez-y l’humilité, au service de l’œuvre et de l’équipe.   

Parmi tous les auteurs que vous avez joués, y en a-t-il un avec lequel vous vous sentez plus en empathie ?
Tchekhov. À l’école, j’avais lu la biographie que Troyat lui avait consacrée. En fermant le livre, je m’étais dit : « Je me suis fait un ami ».  Je me sens proche de son univers, de son absurde, de son humour, de l’humanité qu’il dégage.

Dans « Une veillée », vous avez travaillé sous la direction de Virginie Thirion. Qu’avez-vous particulièrement apprécié dans son travail ?
Ce n’est pas la première fois que je travaille avec Virginie et c’est toujours en grande complicité. Tout est ouvert ; rien n’est contrôlé ; tout peut donc émerger.

Dans ce spectacle, vous incarnez un personnage tout en tendresse qui aménage l’espace pour son épouse qui a décidé de passer la nuit dehors à veiller. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce personnage ?
Le thème de la pièce m’a séduit ; elle parle avec intelligence du deuil, de l’absence et de l’amour. L’amour est sans doute l’aventure la plus passionnante que l’on puisse partager dans une vie. Au-delà de l’amour charnel, être amoureux de l’âme de la personne avec qui l’on partage sa vie, c’est merveilleux. C’est cet amour-là que révèle la pièce.

Elle parle aussi du deuil.
De la difficulté de faire le deuil, de vivre avec l’absence et surtout comment envisager ce deuil quand on n’a pas retrouvé le corps du défunt.

Les spectateurs disposent aussi de couvertures dans la Petite Salle. Une manière de les associer à votre veillée nocturne ?
Ce n’était pas voulu dans la scénographie, mais cela aide à créer l’atmosphère. Les bougies aussi… comme on en voit brûler sur les places en France ou en Belgique à la suite des attentats.

Vous avez, dans votre vie personnelle, vécu le décès de votre épouse, la maman de vos enfants. Jouer est-ce apprivoiser l’absence ?
Jouer, c’est continuer à vivre. Parfois les épreuves anéantissent. Parfois elles permettent de grandir, de descendre plus profond dans la compréhension de la vie. Ces épreuves sont porteuses de maturité pour ceux qui les vivent ; elles nourrissent forcément le jeu de l’acteur.  

La pièce se termine par ces mots : « Mais comment peut-on expliquer tout cela ? – Il n’y a rien à expliquer ». Sachant ce que l’on vient de vivre à Bruxelles, qu’est-ce que le théâtre peut apporter comme réponse ?
Dans un monde dominé par l’économie, le théâtre est le seul endroit où des individus peuvent encore s’adresser directement à d’autres individus, où interpeler, faire réfléchir, rire et s’émouvoir passe par l’expression vivante de l’être qui se manifeste devant un public. Au théâtre, tout peut se dire ; la parole est pleinement libérée, particulièrement en Belgique. Il reste le lieu de l’interpellation et du dialogue avec le citoyen. Le soir des attentats, c’était un acte civique que de venir au théâtre en tant qu’acteur ou en tant que spectateur ; c’était être debout, c’était être vivant.

(*) Le GROUPOV est un collectif d’artistes de différentes disciplines et différentes nationalités. Fondé en 1980 par Jacques Delcuvellerie qui en assure la direction artistique, il est basé à Liège.

Propos recueillis par Roland Bekkers

EN CE MOMENT
Une veillée de Hanja Hilling, jusqu'au 30 avril 2016

PARCOURS 
Alxandre Trocki a participé à 8 spectacles au Théâtre Le Public :
2000 Un tramway nommé désir

2004
Chambres
2005 Cendres de cailloux

2005
Cosmétique de l'ennemi

2007
L'indicible
2009
La meilleure volonté du monde
2012
Orphéon
2014
Les hommages collatéraux
En 2011, il signe avec Philippe Jeusette l'adaptation de Hygiène de l'assassin de Amélie Nothomb

EN SAVOIR +
Grâce au répertoire en ligne de La Bellone


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