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NOVEMBRE 2016

Laurence Vielle

Laurence Vielle, mot à mot, un souffle d’humanité




« Je sens bien que le monde tourne de moins en moins rond : j’aime aller y chercher, y traquer, y guetter, les battements d’humanité. Ce sont mes tambours. Je tente d’y accorder mon cœur ». (Laurence Vielle)


Laurence Vielle, vous êtes née en 1968 ; vous êtes de père suisse et de mère flamande ; vous avez deux filles ; vous aimez la montagne et la Mer du Nord.
Ma mère est anversoise francophone… et elle se sent anversoise et francophone. Mon père est suisse, de mère brugeoise, francophone elle aussi. Je me sens bruxelloise, un peu de Suisse, un peu de Flandre.

Vous êtes poétesse et comédienne.
Je me définis parfois comme diseuse de mots plutôt que comédienne. J'aime dire la poésie, les mots sont d'abord pour moi une matière à dire. Ainsi, je ne fais pas de distinction entre poétesse et comédienne. J’aime dire les mots, les miens et ceux des autres.

Comment vous est venue cette envie de poésie ?
En première primaire, j’avais appris le son UL. Pendant les vacances, je me baignais dans la Lesse, à Resteigne, et je criais tous les mots en UL que je connaissais : Jules, bulle, calcul… ; j’avais composé un long poème en UL et je le criais dans la rivière. J’ai toujours eu des carnets où j’écris un peu du monde qui m’entoure. J’ai mis du temps à me dire poète parce que cela fait partie de moi depuis mon enfance. Ma poésie est une poésie de l’oralité.

Poésie de l’oralité, mais pour dire quoi ?
Ma matière, c’est le monde, dans sa densité rythmique. J’aime toutes les formes d’écriture, mais je suis davantage attirée par les auteurs qui ont un rapport fort à l’oralité. J’aime Valère Novarina ; j’ai aimé jouer, la saison dernière, « Les Présidentes » de Werner Schwab pour le vertige linguistique. J’aime explorer la langue.

Comment vous est venue votre envie de faire du théâtre ?
Très tôt, j’ai eu envie de « dire devant les autres ». Pourtant j’étais timide. A 12 ans, j’ai suivi des cours de déclamation, avant de faire du théâtre. Au Conservatoire, j’ai suivi les deux filières. Mon chemin est jalonné d’êtres qui m’ont marquée : Pascale Mathieu, décédée cet été, qui travaillait avec Charles Kleinberg. Monique Dorsel du Théâtre Poème. Pietro Pizzuti, un magicien qui m’a poussée à porter mes mots à la scène et à plonger dans le jeu. Pierre Laroche, Claude Guerre, David Giannoni, poète et éditeur des booklegs, livrets à prix léger de poésie. Les musiciens sont essentiels dans mon travail, un compagnonnage lyrique, rythmique : Matthieu Ha, Catherine Graindorge, Vincent Granger, Bertrand Binet. La musique épouse le rythme et soutient l’oralité de la langue. Et puis Eric d’Agostino qui m’a ouvert l’univers des créations radiophoniques. Et Magali Pinglaut : à deux, nous avons créé une compagnie qui s’appelle « Jean qui cloche », avec laquelle nous avons créé « Inquiétude » d’après Novarina, « Les Pensées » d’après Blaise Pascal et les « Ecrits bruts » recueillis par Frédéric Baal et Michel Thévosz. Grâce à Magali, j’ai rencontré Patricia (Ide) et Michel (Kacenelenbogen).

On dit de vous que vous avez une diction et une gestuelle qui captivent. Il y a dans votre manière de jouer une candeur proche de l’enfance.
Je ne m’en rends pas vraiment compte. Parfois, les gens disent que je répète un peu les mêmes choses quand je joue au théâtre. Peut-être parce que je ne pense pas à créer d’abord un personnage : tout part des mots, du verbe. Souvent, au Conservatoire, les professeurs me disaient d’arrêter de bouger les mains. J’y arrive parfois mais c’est comme si les mots devaient aller jusqu’au bout de mes doigts. Les gestes battent la mesure, rythment, instinctivement.

 Depuis janvier 2016, vous êtes « poétesse nationale ».
Un titre donné par les maisons de la poésie du pays, francophones et néerlandophones : Le Poëzie Centrum de Gand, La Maison de la Poésie de Namur, Vonk en Zonen d’Anvers, La Maison de la Poésie d’Amay, Le fiEstival maelstrÖm, Le Théâtre Poème 2, Les Midis de la Poésie et le Collectif de traducteurs de Passa Porta. Les poètes d’une communauté linguistique, en Belgique, ignorent la plupart du temps ce qu’écrivent les poètes de l’autre communauté. On a donc voulu passer la frontière, créer des rencontres, aviver nos curiosités, titiller nos langues, déjouer les politiques séparatistes. Le poète national compose au moins six poèmes par an qui traitent de l’actualité de la Belgique ou du Monde. Ces poèmes sont traduits et publiés dans les trois langues. (*)

Vous succédez à un poète national néerlandophone : Charles Ducal.
Qui m’était inconnu et dont j’ai découvert avec bonheur et admiration l’écriture. Grâce à ce projet, je me rends souvent en Flandre et j’y apprécie chaque fois la vitalité poétique des collègues néerlandophones. Sans vouloir en faire une généralité, je vois que la poésie francophone est plus bavarde ; la poésie néerlandophone plus concise, plus abrupte. Les rencontres sont une occasion de s’entendre, se contaminer les uns les autres ; cela donne de la force, un souffle nouveau, une joie.

En tant que poétesse nationale, vous souhaitez également susciter quelque chose au niveau des jeunes.
Oui. On a créé en mai 2006 un concours afin de choisir deux « jeunes poètes nationaux », l’un francophone et l’autre néerlandophone. Parmi la centaine de réponses que nous avons reçues, nous avons sélectionné 20 jeunes poètes (entre 15 et 26 ans) dont les textes ont été repris dans un bookleg édité par maelstrÖm intitulé « Première fois/Eerste keer ». C’est parmi eux que nous avons choisi les deux lauréats : Jens Meijen (néerlandophone) et Antoine Vermeersch (francophone).

Les enfants sont très réceptifs à la poésie ?
Oui. Ils ont l’oreille musicale. Il leur suffit d’entendre deux-trois fois une chanson pour la connaître par cœur. Ma première fille avait 5 ans lorsque j’ai joué avec Valère Novarina ; je l’emmenais en tournée. Un spectacle de deux heures et demie. Elle connaissait des répliques entières par cœur tandis que nous avions mis des mois à ingurgiter la complexité de la langue. Les enfants sont sensibles aux objets mystérieux parce qu’ils ne se posent pas la question du sens et la poésie tient du mystère.

Vous avez aussi collaboré à l’édition d’un recueil de poèmes « nationaux » ?
Oui. Le « Belgium Bordelio », une anthologie bilingue franco-néerlandophone de 450 pages qui réunit 30 poètes, 15 néerlandophones et 15 francophones, traduits dans les deux langues, une passerelle pour se faire rencontrer nos communautés. Nous voudrions d’ailleurs qu’un mini « Belgium Bordelio » soit édité et offert à tous les écoliers de Belgique de 8 à 10 ans à une prochaine rentrée scolaire. Il reprendrait des textes de poètes vivants. Quand on pense poète, on a souvent l’image d’un vieil homme grisonnant penché sur un écrit ; nous désirons que la poésie soit vivante et vivace.

 

Poétesse nationale !... La poésie peut-elle changer le visage de la Belgique ?
La poésie a une force d’insurrection. Quand on renverse, quand on bouscule le langage, on change l’ordre du monde ; on lui redonne des aspérités, du mouvement, du rythme, du désir. On n’est plus dans la langue de bois monocorde. La poésie, c’est la langue qui se réveille… et qui me réveille.
Ma vision poético-politique serait qu’en Belgique on devrait tous être bilingues, multilingues ! On devrait être un laboratoire du vivre ensemble. Il y a tellement de langues qui se côtoient dans une si petite entité. Toutes les écoles devraient être trilingues et nous serions de « joyeux parleurs » de toutes ces langues.

La marche est aussi importante dans votre vie.
Je ne conduis pas donc je marche sans doute plus que la moyenne des gens. La marche me remet en santé. Ça fait circuler la pensée ; ça fait naître des mots en moi ; ça donne du rythme. Par exemple, pour « Etat de Marche », avec Jean-Michel Agius qui habite Paris, nous avions décidé de rejoindre nos deux capitales à pied, lui captant des images – il est cinéaste et danseur – et moi glanant des mots. Cela a donné naissance au spectacle ; j‘aime les formes hybrides où les arts se rencontrent : les mots, la musique, la danse, les images.

Mes spectacles parlent toujours d’un état du monde. Un théâtre, une structure culturelle, une association... me proposent d'être en résidence, immergée dans une ville, un quartier, un village, un hôpital...que je ne connais pas. Je circule à pied, je rencontre des gens et je recueille leurs mots, ce qu’ils me disent du monde ; c’est ma matière, je deviens passeuse. Ma mère m'a fait suivre des cours de dactylo quand j’avais 8 ans. Grâce à elle, je prends au vol les paroles des gens, en saisissant leurs hésitations, leur façon intime de parler, de bégayer dans la langue. J’aime traquer comment chacun parle, et donner la parole aux gens qu’on n’entend pas.

Les mots sont vos tambours.
Ma caisse de résonance, c’est la parole des autres, les rythmes du monde, l’extérieur qui me rentre dedans, qui me percute et que je relâche.

Venons-en au spectacle « Ouf » Le soupir de soulagement ou le « fou » en verlan ?
« Ouf », c'est le nom d'un texte parmi une quinzaine d'autres, dans le spectacle. J’ai écrit ce poème un jour où j'étais épuisée. "Ouf dit la femme qui dit ouf"... Le souffle est important dans ma vie. Le souffle nous relie, tous, sans frontière. Et relie tous les moments de notre existence.  « Ouf », c'est aussi un livre-cd; on a repris quelques poèmes de ce recueil, d'autres plus anciens, d'autres aussi plus récents. Quand je dis des poèmes en public, c'est souvent avec un musicien, à l'arrache, sous un mode plus performatif. Ici, au Théâtre le Public, c'est l'occasion d'organiser, construire, travailler avec la lumière, le son, et puis, le temps... Le temps de chercher, apprendre les mots par cœur, expérimenter, avec Catherine Graindorge aux violons, divers chemins, divers possibles.  C’est une création à deux voix avec Catherine Graindorge qui compose et joue la musique, le tout sous le regard attentif de Patricia Ide. Ouf... le temps qui passe, la terre qui tourne...

 Pour « Ouf », vous avez obtenu le Grand Prix de l’Académie Charles Cros du livre-disque. Vous avez d’ailleurs obtenu de nombreux autres prix dans votre carrière. Est-ce important à vos yeux ?
Je suis honorée que "Ouf" ait été couronné par une Académie reconnue en France pour ses distinctions d’œuvres musicales. C’est une reconnaissance du duo musical avec Vincent Granger, clarinettiste et percussionniste fantastique dont le travail depuis des années se tisse avec les mots.

Ce n’est pas la première fois que vous jouez au Théâtre Le Public. Qu’est-ce qui vous séduit dans cette maison ?
Au fil des années, je découvre et j'admire le travail de Patricia Ide et Michel Kacenelenbogen. Deux personnalités, deux dynamiques différentes pour donner un souffle au théâtre, à la fois masculin et féminin. J’aime leur programmation hétéroclite au rythme des trois salles. C’est un théâtre ouvert, diversifié; chacun s’y retrouve quel que soit l’âge. J'aime la convivialité dans l’accueil du spectateur. Et au sein de l’équipe, on sent une belle dynamique de travail, une bienveillance, de l'enthousiasme, beaucoup d'attention pour les spectacles qui se créent, se répètent dans les murs. Une véritable fabrique de théâtre. Ça fourmille de partout. Je m'y sens accompagnée, encouragée, portée. C'est très agréable. 

(*) Les poèmes de Laurence se trouvent sur le site www.poetenational.be   


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