AOUT 2017
Claire Bodson
Claire Bodson, comme une évidence
Depuis sa première apparition au Théâtre Le Public en 1996 dans « Antonin et Mélodie » (Serge Kribus), vous avez pu l’applaudir dans « Les Mangeuses de chocolat » et « Paternel » (Philippe Blasband), « Un mois à la campagne » (Ivan Tourgueniev), « Mais ne t’promène donc pas toute nue » et « On purge bébé » (Georges Feydeau), « L’Atelier » (Jean-Claude Grumberg) et « Mister Bates » (Valérie Lemaître). Prix de la Meilleure Comédienne en 2012 pour son rôle de Médée dans « Mamma Medea » (de Tom Lanoye et Christophe Sermet) créée au Rideau de Bruxelles, elle s’apprête à incarner Lady Macbeth dans la mise en scène de Valentin Rossier. « Macbeth », une pièce maudite dans la superstition anglo-saxonne !... Heureusement, nous sommes à Bruxelles, au Théâtre Le Public.
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de faire du théâtre ?
À l’école, je n’étais pas mauvaise élève, mais rien ne m’intéressait excepté les cours de français et particulièrement la littérature et l’analyse des textes. Enfant, j’étais une grande lectrice. J’aimais lire à voix haute. Quand je m’embêtais à l’école, je faisais rire mes petits camarades. Pourquoi ai-je choisi d’en faire mon métier ? Peut-être par défaut… Peut-être parce que j’avais envie de quitter Liège, ma ville natale pour découvrir une autre vie, des garçons plus cools que les futurs ingénieurs ou futurs médecins…
Vous quittez Liège pour vous former au Conservatoire de Bruxelles, dans la classe de Pierre Laroche. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?
Mon passage au Conservatoire ne me laisse pas des souvenirs impérissables, même si j’y ai côtoyé des professeurs remarquables (Pierre Laroche, Frédéric Dussenne, Pietro Pizzuti). J’avais eu le choc de la « découverte théâtrale » avant. J’ai terminé mes études secondaires en technique de transition expression artistique ; une partie de mon cursus se passait à l’Académie. C’est là que j’ai rencontré des professeurs qui m’ont donné les bases, ont entretenu et développé mon amour du texte et ont énormément compté pour moi. De plus, seule inscrite dans la section « théâtre », je disposais d’un professeur pour moi toute seule. Le Conservatoire a donc été une sorte de redite. Peut-être aurais-je dû faire le choix d’une école de théâtre qui m’aurait donné une formation plus physique, plus pratique que le goût du texte que je possédais déjà.
En 1994 - vous avez 21 ans - vous sortez du Conservatoire et plongez dans « La Belle au Bois dormant », mis en scène par Pietro Pizzuti, à Villers-la-Ville, en plein air. Un bon ou un mauvais souvenir ?
Un baptême du feu. Avec quelques jeunes promus du Conservatoire (Valérie Bauchau, Thierry Lefèvre, Vincent Marganne), j’appartenais au « Monde du Bas, des Enfers ». Nous jouions notre monologue, chacun dans une alcôve souterraine, pendant que les spectateurs défilaient devant nous pour gagner leurs places. Une expérience particulière, une entrée en matière un peu effrayante.
En 1996, vous faites une première apparition au Théâtre Le Public dans « Antonin et Mélodie » de Serge Kribus.
Dirigés par Pietro Pizzuti, nous étions toute une bande de jeunes comédiens sortis du Conservatoire. J’y ai rencontré deux personnes qui me sont restées très chères : Yannick Renier, mon compagnon, et Christophe Sermet, qui m’a mise en scène dans « Mamma Medea ».
Mais cette année 1996 est surtout marquée, à l’Atelier St-Anne, par « Les Mangeuses de Chocolat » de Philippe Blasband que vous allez jouer jusqu’en 2010 (plus de 170 représentations).
Un spectacle qui signait la fermeture de l’Atelier St-Anne ! Au départ, ce ne devait être qu’une lecture spectacle. Comme nous disposions de 15 jours pour préparer cette lecture, nous nous sommes pris au jeu d’étudier le texte par cœur afin d’en faire un vrai spectacle. Ce fut un petit événement ! Les thérapies de groupe étaient à la mode et nous avons été surprises de l’accueil et de la demande du public. À la fermeture de l’Atelier, c’est Pierre Holemans qui a repris la production et a fait tourner le spectacle.
Dont deux années au Festival Off d’Avignon.
Un excellent souvenir. Le spectacle entrait bien dans les standards du Festival. Au bout de la quatrième représentation, le bouche-à-oreille remplissait la salle jusqu’à la fin du Festival.
Le spectacle a-t-il évolué avec le temps ?
Bien sûr. Certes, plus la trame est complexe plus l’évolution est perceptible. Dans ce cas-ci, nous avons surtout appris à connaître nos partenaires, à augmenter notre complicité et à nous adapter à différents types de salles et de publics.
Vous avez travaillé sous la direction de plusieurs metteurs en scène. Pouvez-vous nous dire ce que chacun vous a apporté de particulier ?
Frédéric Dussenne ?
C’est sans doute ma plus belle rencontre du Conservatoire, à la recherche d’un théâtre de simplicité, de dépouillement. Il a une intelligence du texte et de la dramaturgie prodigieuse. Il m’a enseigné ce que je recherche encore aujourd’hui dans chacune de mes prestations.
Pietro Pizzuti ?
Pietro, c’est la fantaisie. Au Conservatoire, il était beaucoup plus dans la folie que nous qui avions 20 ans de moins que lui. Quand on le voyait jouer, c’était lumineux, exaltant, aérien, parfait… et on avait juste envie d’arrêter ce métier devant un tel talent. Pour lui, le théâtre c’est « jouer aux cow-boys et aux indiens » alors qu’avec sérieux et application nous recherchions l’émotion et la vérité. Chez Pietro tout est léger et c’est cette légèreté qui produit le talent de l’acteur.
Christophe Sermet ?
C’est d’abord un ami et donc nous avons une vraie connaissance profonde l’un de l’autre, tant professionnelle que privée. On peut donc aller très loin dans le travail, partager les difficultés. Il connaît mes faiblesses comme mes qualités et il sait où il peut me mener, de plus en plus loin.
Michel Kacenelenbogen ?
Acteur lui-même, c’est un excellent directeur d’acteur. Il perçoit les difficultés de chacun et est d’une extrême bienveillance. Il ne s’impatiente pas, laisse chacun faire son chemin. Il connaît ses acteurs et essaie toujours de les amener ailleurs, en dehors de leur registre habituel. Confiance et amour des acteurs. Jouer à ses côtés est un vrai bonheur ; c’est un partenaire généreux.
Une femme dans ce parcours, Virginie Thirion ?
Je ne la connaissais pas bien et j’ai repris son rôle dans « J’habitais une petite maison sans grâce, j’aimais le boudin » de Jean-Marie Piemme. En tant que liégeoise, j’avais adoré la pièce. Ce fut donc un superbe cadeau que d’y être associée. J’avais l’impression de partager son « bébé ». Générosité et confiance ont été les maîtres-mots : j’ai même réussi à ajouter une pointe d’accent local.
À quatre reprises vous avez assuré l’assistanat à la mise en scène. En quoi consiste ce travail ?
C’est à la fois un travail de secrétariat et d’accompagnement du metteur en scène.
La mise en scène elle-même ne vous a jamais tentée ?
Ça me tente car je trouve que c’est un pan extraordinaire du métier. Mais cela me paraît tellement difficile, car arrive toujours le moment où vous vous trouvez seule à devoir prendre la bonne décision. Ça me plairait dans un travail collectif.
Etes-vous plutôt une comédienne choisie ou qui cherche à être choisie ?
Je suis nulle pour pousser les portes. J’ai 44 ans et je me souviens que Pierre Laroche me disait au Conservatoire : « Toi, tu travailleras quand tu auras 40 ans ! » parce que je n’avais pas un physique juvénile. Il n’avait pas tout-à-fait tort. Je vis mieux mon métier depuis une dizaine d’années. Peut-être ai-je rencontré les bonnes personnes au bon moment. Le fait de disposer de deux diplômes rend la précarité de l’emploi moins angoissante et me libère dans la pratique de mon métier artistique. J’ai retrouvé la légèreté chère à Pietro.
Parlons de ce second métier.
J’ai repris des études d’institutrice et j’exerce ce métier sporadiquement avec plaisir et bonheur. C’est passionnant, mais épuisant. Depuis, mon métier d’actrice me paraît vraiment festif, récréatif alors qu’avant je ne voyais que les problèmes.
Qu’est-ce qui vous a fait choisir cette voie ?
Mon grand-père était instituteur et mon père prof à l’université. J’ai donc baigné dans l’enseignement. Et j’ai gardé un souvenir merveilleux de mon passage à l’école primaire. Je regrette de ne pas avoir fait ce métier plus tôt car j’adore le contact avec les enfants. Mes deux métiers me permettent, quand je pratique l’un, de regretter l’autre.
Revenons au théâtre. En 2012, vous recevez le Prix de la Critique pour votre interprétation de Médée dans « Mamma Medea ». Est-ce important d’être reconnue ?
Je ne suis pas du tout remise de prix. Les Molières, Oscars, Césars m’ennuient. Pourtant, je dois reconnaître que j’ai été émue quand j’ai reçu mon prix.
Ce prix ouvre-t-il des portes ?
J’ai plutôt l’impression du contraire. Le magnifique rôle de Médée dans « Mamma Medea » de Tom Lanoye faisait appel à de nombreux registres. Il m’a permis d’atteindre un nouveau palier dans ma carrière. Plus que le prix, c’est le rôle qui ouvre des portes.
Au cinéma, vous avez joué, toujours aux côtés de Yannick Renier dans « Elève libre » de Joachim Lafosse. Que retenez-vous de cette expérience ?
Le tournage fut très agréable et l’expérience intéressante… mais ma vie est sur les scènes, pas dans les studios. J’ai besoin de gens à qui m’adresser, pas à des machines. J’adore aller au cinéma, mais en tant qu’actrice, je ne suis pas à l’aise sur un plateau de cinéma. Mon jeu est trop expressif.
Vous ouvrez la saison au Théâtre Le Public avec « Macbeth » de Shakespeare dans une mise en scène de Valentin Rossier. Ce spectacle a déjà entamé sa carrière en Suisse. Que pouvez-vous nous en dire ?
Quoiqu’écrite au début du XVIIème siècle, Macbeth, la plus courte des tragédies de Sir William, est d’une étonnante et inquiétante actualité. Comme toujours, quand on aborde Shakespeare, le travail est énorme et on a l’impression de ne jamais arriver au bout tant il y a de facettes à découvrir. Valentin Rossier propose une version moderne, une esthétique à la Mad Men ; c’est whisky, divan, tapis plain. L’action se déroule dans un salon d’hôtel et la mise en scène est essentiellement introspective. Fatigué de la guerre, Macbeth ne sait plus où il en est. C’est là qu’intervient Lady Macbeth, un personnage délirant, hors norme, inexplicable, uniquement animé par la folie du pouvoir ; l’incarnation du mal.
Comment se prépare-t-on et comment vit-on un tel personnage ?
On dit toujours que, pour éviter la caricature, le comédien doit aller chercher en soi de quoi nourrir son personnage. Mais comment aller chercher en soi des caractères extrêmes qui, heureusement, n’y sont pas ? C’est donc très complexe. Vous comprenez pourquoi le travail est infini. Il faut aussi trouver une place pour toute la dimension surnaturelle très présente dans l’écriture de Shakespeare. Je n’en dirai pas davantage pour laisser au spectateur le plaisir de la découverte.
Vous avez joué dans de nombreux théâtres bruxellois : l’Atelier St-Anne, Le Rideau, Les Tanneurs, Le Varia, Le National et Le Théâtre Le Public. Ce dernier est-il différent des autres ?
La diversité peut-être... C’est le seul théâtre bruxellois où des acteurs de tous genres et de toutes origines se rencontrent. Ce n’est pas une chapelle. Patricia et Michel vont voir énormément de spectacles, offrent, dans leurs trois salles, des possibilités de création à un public curieux et qui leur fait confiance.
Propos recueillis par Roland Bekkers.
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