OCTOBRE 2017
Charlie Dupont et Tania Garbarski
Charlie et Tania, les deux font la paireUnis à la ville, inséparables à la scène. De vrais « Dupont » ! « Quoique… » ajouterait Raymond Devos avec un brin de malice ! Pour sauvegarder la vie familiale – car Tania et Charlie ont deux adorables filles qui requièrent amour et attention – ils s’efforcent d’équilibrer leurs occupations professionnelles. Quand l’un est en studio ou en tournage, l’autre est à la maison. Monter un projet en duo comme « Tuyauterie » évite partiellement les problèmes de baby-sitting : on peut répéter à la maison ! C’est donc chez eux que nous les retrouvons, en bordure de la Forêt de Soignes, entre deux séances studio de Charlie.
Tania, qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du théâtre ?
T : Je me souviens être allée voir un spectacle du Centre Communautaire Laïc Juif sur l’Exodus. Je devais avoir 8 ans. Le rôle du petit garçon était tenu par Laurent Capelluto. J’ai été bouleversée par sa prestation, je suis sortie du spectacle en larmes et j’ai annoncé à mes parents que je voulais faire ce métier. Ma maman, elle, raconte qu’elle m’habillait en comtesse pour le carnaval de l’école. Elle prétend qu’à l’époque je lui ai dit fermement : « Je ferai un métier où je me déguiserai tout le temps ».
Et cela s’est confirmé.
T : Je suis entrée à l’Académie - comme élève libre, car je n’avais que 11 ans - dans la classe de Francis Besson. Au bout de 6 mois, lassée de me voir trépigner d’impatience sur ma chaise, il m’a autorisée à participer au travail. À 12 ans, je jouais dans une compagnie d’amateurs « L’Étincelle » dans une mise en scène… De Michel Kacenelenbogen.
Puis ce fut le temps de la formation ?
T : À l’INSAS.
Et vous, Charlie ?
Ch : À 18 ans, comme tous les gens qui ne savent pas quoi faire, j’ai entrepris des études de droit. Si mes études m’ont peu apporté, je me souviens parfaitement des à-côtés : sous la direction de Jean-Daniel Nicodème, avec le Théâtre universitaire des Facultés Saint-Louis, nous avons monté un « Capitaine Fracasse ». Le rôle-titre était tenu par Arnaud Van Schevensteen, un homme de défis. Unijambiste depuis l’âge de 10 ans, il ne cesse de déjouer son handicap dans des exploits sportifs et autres (Ascension du Mont Blanc et du Cervin, Rallye Paris-Dakar, 24H de Francorchamps). Dans Fracasse, il incarnait à ce point le personnage qu’on en oubliait l’infirmité. Magique, sublime. Une leçon. Comme le dit Meryl Streep « Prends ton cœur brisé et fais-en une œuvre d’art ». Ce fut pour moi un déclic : il était possible de « donner à croire », de « faire oublier ».
Votre parcours ensuite ?
Ch : Après avoir terminé mes études de droit avec fruits et légumes, je suis entré à la Kleine Akademie. Mais j’ai surtout appris mon métier sur le tas. Je ne crois pas vraiment à la formation scolaire.
Depuis, vous vous partagez entre scène et écran ? Qu’est-ce qui vous donne envie de mener cette double carrière ?
Ch : Ce qui me tient au théâtre, c’est Tania. Je tire ma devise du film « Monsieur et Madame Adelman » de Nicolas Bedos : « Tout sauf l’ennui ! » Peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse.
T : Mon adrénaline, c’est le rapport direct avec le spectateur. Au théâtre, j’aime le vertige d’entrer dans un personnage sans être interrompue dans cette progressive incarnation. Face à la caméra, le travail est plus subtil ; on travaille en finesse, sans l’obsession d’atteindre le spectateur du dernier rang ; c’est une autre forme d’abandon que j'adore aussi.
Alors que vous avez un papa réalisateur ?
T : Mon père – Sam Garbarski - ne s’est lancé dans la réalisation qu’après que je sois devenue comédienne. Il était publicitaire. C’est au sein de son agence de pub qu’il a découvert l’image. J’ai tourné mon premier téléfilm à 19 ans, avec Michèle Morgan.
Parlez-moi de votre parcours théâtral ?
T : J’ai commencé au Théâtre Varia en 95-96 dans « Excédent de poids, insignifiant : amorphe » de Werner Schwab, et « Périclès, prince de Tyr » de Shakespeare, toutes deux mises en scène par Michel Dezoteux. En 98, j’étais déjà au Théâtre Le Public dans « L’Opéra de quat’sous » de Bertolt Brecht mis en scène par Carlo Boso. Puis ce fut « Un Chapeau de paille d’Italie » au Théâtre en Liberté, « Dom Juan » mis en scène par Daniel Mesquich, etc.
Des souvenirs de ce temps vécu au sein de la dernière vraie « troupe de théâtre » professionnelle ?
T : Plein. De vraies amitiés. Faire partie de la « troupe » supposait que l’on s’implique dans toutes les facettes de la production. Dans ce métier, j’aime la diversité des rencontres. J’adore la fidélité en amitié, en amour ; dans le travail aussi d'ailleurs mais j’ai également besoin de nouvelles rencontres pour me nourrir, pour avancer.
Vous avez également participé, Tania, à plusieurs spectacles musicaux : « L’Opéra de quat’sous », déjà cité, « La Fugue du petit Poucet » et « Émilie jolie ». Vous chantez ?
T : J’aime chanter depuis toujours ; et je ne chante plus assez à mon goût. À 13 ans, déjà, j’avais chanté dans « Un Violon sur le Toit » mis en scène par Richard Kalish. Plus tard, à l’INSAS, Estelle Marion m’a fait réellement découvrir ma voix dans un spectacle Gospel. J’ai adoré ... et chanter est excellent pour la santé. Mais un spectacle chanté suppose une hygiène de vie très stricte, surtout quand on a, comme moi, une voix fragile. À en devenir parano et à percevoir des courants d’air partout !
Vous aimez les rencontres, dites-vous. Pourtant, avec « Promenade de santé » et « Tuyauterie », vous venez d’enchaîner deux duos avec Charlie ?
T : Dans ce métier, quand on veut générer des projets, on en lance plusieurs en espérant que l’un d’entre eux voie le jour. Ici tout a abouti. Pendant que Philippe Blasband nous écrivait « Tuyauterie » est apparue « Promenade de Santé ». Un coup de foudre que nous ne voulions pas laisser passer. Nous vivons ensemble, Charlie et moi, depuis 18 ans et nous avions vraiment envie de jouer à deux. Nous espérions que nos différences et notre complicité constituent un cocktail explosif. Ce fut le cas.
Ch : Je suis admiratif de la manière dont Tania travaille. Notre duo, c’est la rencontre d’un jazzman et d’un orchestre classique obligés de s’accorder sur une même partition. Je suis plus instinctif ; Tania est laborieuse, besogneuse. L’un nourrit l’autre.
Quand on se connaît aussi bien que vous vous connaissez, est-ce qu’on arrive à se surprendre ?
Ch : Jouer, c’est s’abandonner ; et c’est plus facile avec quelqu’un que l’on connaît parfaitement et en qui on a pleine confiance.
T : Nous avions très envie de jouer ensemble, mais cela n’était pas un gage de réussite. Nous avons eu la chance de travailler avec des metteurs en scène en qui nous avions une totale confiance et que nous admirons. J’admire chez Charlie, son côté instinctif, spontané.
Ch : Ceci dit, je crois que nos différences d’école s’estompent. Tania gagne en spontanéité et ma technique théâtrale s’améliore. Tania se croyait tragédienne et elle explose dans des rôles comiques, comme dans « Maris et femmes ». J’ai réveillé en elle son côté Jacqueline Maillan ; elle a révélé le Laurence Olivier qui sommeillait en moi (rires).
Des spectacles avec lesquels vous avez assuré de longues séries et plusieurs reprises.
Ch : (en boutade) Beaucoup trop longues. Il faudrait que tout le public assiste aux deux premières représentations, qu’on plie le décor et que ça s’arrête là. C’est parce que le public insiste que nous rejouons !
T : (plus sérieuse) Non ! Plus il y en a, mieux c’est. Je suis très fière que nous ayons pu mener à bien ces spectacles et qu’ils aient connu un tel succès. Ces aventures théâtrales nous ont permis de voyager. Ne boudons pas notre plaisir.
Vous avez eu le privilège de jouer à Avignon, au Théâtre du Chêne noir.
Ch : Et cela a permis la rencontre de Gérard Gélas, son directeur, avec Michel Kacenelenbogen. Une complicité se crée entre les deux institutions et cela nous réjouit. C’est chouette qu’un spectacle ouvre des barrières.
Revenons à vous, Charlie. En dehors des tournages, vous avez aussi la passion des capsules vidéo ?
Ch : J’aime aborder tous les aspects de l’image. Comme dit plus haut : « Quel que soit le flacon… ». C’est le sujet qui dicte la forme ; il n’y a donc pas de hiérarchie entre les formats ni entre les lieux de diffusion, pour peu que l’adéquation soit parfaite. « Les Professionnels », « Toc toc qui est là » sont des formats courts typiquement destinés au web. Les « Faux contacts » étaient conçus pour la télé. Je viens de terminer un court métrage « La Belgique, on y revient toujours » * sur une musique de Stromae ; j’y ai filmé les émotions des personnes dans le hall d’arrivée de Zaventem.
Philippe Blasband tient une place importante dans votre carrière, Tania. Il a travaillé comme scénariste pour votre papa, il vous a écrit « Tuyauterie » sur mesure. Qu’aimez-vous dans l’écriture de Philippe ?
T : Quand nous lui avons demandé de nous écrire « Tuyauterie », il a bien évidemment d’abord dit non. 24 heures plus tard, il nous rappelait pour nous dire qu’il avait une idée. Je suis fascinée par sa culture, par sa plume, par son originalité qui est à la fois complètement surprenante et totalement familière. Il imagine des rencontres, des dialogues totalement improbables, et qui sont pourtant d’une justesse et d’une vérité extraordinaires. Mais j'ai également découvert un merveilleux directeur d'acteur : quand il dirige, il nous emmène très subtilement vers les émotions de nos personnages.
Ch : Il est oxymorique par essence. Iranien de naissance et libanais de souche, il porte en lui tous les contraires. C’est un être « extraordinairement normal ». Alors que certains créateurs français se la pètent avant même d’avoir produit quelque chose, Philippe est un vrai artisan, avec l’humilité des grands artistes. Il touche au plus profond de l’être humain, avec un humour diabolique. Il a une telle sincérité dans sa démarche qu’il y a des choses qui lui échappent complètement. Il ne s’était pas rendu compte, par exemple, qu’en me faisant dire « Ça ne fuit pas, un plombier » il avait créé un jeu de mots qui allait faire mouche à tous les coups. Il n’en a pris conscience que quand je l’ai joué.
Quand on reprend un spectacle saison après saison, les personnages évoluent ?
Ch : En laissant mûrir les personnages, comme un bon vin, ils finissent par nous surprendre. Sans qu’on fasse quoi que ce soit, ils évoluent, se nourrissant sans doute de nouvelles choses qui sommeillent en nous. La première d’une reprise est toujours une vraie première.
T : Il y a aussi des automatismes corporels dont on n’a plus conscience et qui nous dépassent.
Ch : Certaines choses qui étaient justes, cessent de l’être, parce que nous avons changé, grandi, vieilli.
Vous avez, dans le cadre de vos parcours cinématographiques obtenu des prix, aux Magritte, au Festival Jean Carmet de Moulins. Est-ce important dans une carrière ?
Ch : Quand j’avais présenté la cérémonie des Magritte, j’avais composé une petite chanson qui disait : « Tu t’en fous si tu l’as pas, mais c’est quand même génial quand tu l’as. » On sait que cela ne se distribue qu’entre pistonnés, mais il n’empêche que ça fait quelque chose quand on l’obtient.
T : On a, autour de nous, des tas d’artistes sublimes et géniaux qui n’ont jamais rien obtenu. Ceci relativise cela. On ne joue pas dans l’espoir d’une récompense. Sans la moindre amertume, force est de constater qu’aucun de nos spectacles, qui ont pourtant reçu et continuent à recevoir un magnifique accueil du public et de la presse, n’a obtenu une nomination aux Prix de la Critique.
Ch : De toute manière, « nominer » une comédie, c’est pas sérieux ! Ça ne se fait pas !
Un prix ouvre-t-il des portes ?
T : Pas forcément. Un acteur césarisé m’a dit que cela avait été la galère après l’obtention de son César parce que les producteurs, craignant que son cachet ne soit revu à la hausse, ne lui proposaient plus de scénarios.
Vous avez deux filles, avec lesquelles vous avez déjà tourné d’ailleurs. Si elles vous demandaient demain de devenir comédiennes, que leur répondriez-vous ?
T : Elles nous le demandent déjà.
Ch : Je leur dirais : « Si c’est impératif pour toi, vas-y ; sinon tu vas morfler ». Nous ne poussons en rien, mais si c’est ça, c’est ça !
T : J’ai vécu plusieurs tournages avec des enfants. Je trouve qu’ils sont plongés dans un monde d’adultes qui n’est pas le leur. Je veux donc que nos filles aient une vraie vie d’enfants. Nous n’entraverons pas leur passion, mais nous ne ferons pas les démarches pour elles. Mais nous ne voulons pas non plus que notre métier leur soit tabou. Donc, si nous pouvons les amener sur un tournage et leur partager un peu de notre vie, nous le faisons.
Ch : C’est vrai que les sujets abordés dans les pièces que nous avons jouées ne sont pas destinés aux enfants. Nous n’avons donc pas eu l’occasion de leur montrer ce que nous jouions au théâtre.
On est tellement jetable dans ce métier, que sortir sa première carte à 14 ans risque de vous cloisonner, de vous étiqueter, de vous enfermer. Il y a peu d’enfants comédiens qui deviennent des adultes comédiens.
Cet étiquetage est-il propre au monde du cinéma ?
Ch : Croyez-vous que quelqu’un qui sort de la Ligue d’Impro a la chance d’être pris dans un Shakespeare au Théâtre National ? Non ! Trop de comédiens en Belgique sont marqués par un rôle qu’ils ont joué et qui leur colle à la peau.
On entend dire partout que ce métier est difficile, qu’il offre peu de possibilités, et vous n’arrêtez pas de travailler. Quel est votre secret ?
T : Ce qui est difficile dans ce métier, c’est d’être tout le temps tributaire des désirs des autres. La solution, c’est donc de créer ses propres projets. Et c’est évidemment plus facile quand on est deux. Aujourd’hui, nous avons la chance de vivre de notre métier et de mener les projets auxquels nous tenons. Cela reste donc un métier difficile mais tellement enthousiasmant.
Ch : Soyons clairs. Oui le métier a ses côtés difficiles, mais nous ne descendons pas dans la mine ! J’entends les revendications des artistes et du monde culturel et je les soutiens. Les aides sont importantes, mais chacun est aussi responsable de son destin. Se remettre en question est l’essence même de notre métier. Il est donc malsain d’attendre passivement une aide extérieure pour rendre ce métier moins difficile. Ne nous leurrons pas : chacun de nos projets est peut-être le dernier. C’est ainsi. Exigeons les aides, mais bougeons !
Le 22 mars, Charlie, vous étiez au Cirque Royal pour « célébrer » l’anniversaire des attentats. Vous y avez lu une « carte blanche » que vous avait demandée le journal Le Monde. Une petite merveille. C’était important pour vous d’être là ?
Ch : Je n’aime pas le mot patriotisme, mais j’ai la fibre belge. Et quand il le faut, j’y vais la fleur au fusil. Je n’ai aucun mérite à avoir écrit ni lu ce texte. Il est né d’une émotion qui vous dépasse et trouve les mots pour vous. Sentir l’émotion et entendre frémir de rire une salle qui n’était composée que des victimes, leurs familles, les services de secours qui avaient été au cœur du drame, quel magnifique cadeau !
(*) Ce film d’une durée de deux minutes s’inscrit dans le cadre de la campagne « La Belgique autrement phénoménale », qui vise à promouvoir l’image positive de la Belgique au niveau national et international.
Propos recueillis par Roland Bekkers.
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