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Lina Lamara

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FEVRIER 2019

Lina Lamara



 


SI LE THÉÂTRE EST UN ART SI VIVANT, c'est peut-être parce qu'il met face à face des personnes qui ont quelque chose à se dire. Quatre années et 700 dates plus tard, Lina Lamara continue de délivrer le même message universel dans sa première pièce La Clef de Gaïa. Véritable déclaration d'amour au public qu'elle rencontre sur la route, chaque soir nouveau, chaque soir présent en nombre dans les salles. L'actrice française se fait passeuse de parole et porteuse d'une clef qui ouvre toutes les portes. Celles de Bruxelles y compris à l'occasion de sa venue au Public ce mois de janvier. Dans son spectacle comme dans la vie, la comédienne - chanteuse est magnétique, ardente, déterminée. Accrochée de toutes ses forces à ses rêves de petite fille. N'appartenant à nulle part et originaire de partout. Dépliant et repliant la tente berbère de son spectacle dans chaque ville qui l'accueille comme dans sa nouvelle maison. Avant de la retrouver sur nos planches prochainement, on s'est offert le temps de prendre le temps autour d'un café. Ça parle d'Otis Redding, de comédie musicale, de la difficulté de groover en français, d'un certain Matthieu Chedid, de l'après The Voice, du spleen des tournées, de faire à manger pour ses voisins et de ce qu'on ne voit pas et qu'on peut seulement nommer, ce qui rend la vie plus belle et plus compliquée à la fois. C'était une très grande tasse de café mais ça valait le coup.


Avant tes 18 ans, tu suis les cours de l’Ecole Nationale de Musique de Lyon en section jazz. C’est là que tu attrapes le virus du chant ?
Si ce n’est avant. En réalité, j’ai reçu une éducation très stricte. La télévision était proscrite, il fallait donc s’occuper autrement. Un jour des vacances de Toussaint, on s’ennuyait avec mon petit frère, on ne pouvait pas jouer dehors car il faisait trop froid. Alors on est allés dans le grenier de mes parents et j’ai découvert le tourne-disque de leur jeunesse. Il y avait un tas de vinyles à côté. Mon petit frère, lui, venait de trouver une mandoline. On avait tous les deux l’impression d’avoir atterri dans la caverne d’Ali Baba. On a tout descendu dans le salon et commencé à brancher le matériel. Et là, j’ai rencontré Otis Reading. Je peux te dire qu’il y a eu un avant et un après Otis Reading dans ma vie. Depuis toute petite, je suis quelqu’un de nostalgique. Heureuse, mais nostalgique. C’est comme si quelqu’un avait enfin trouvé la traduction parfaite de ce sentiment.

Tu as quel âge à ce moment-là ?
Six ans.

Et tu te souviens de cet instant précisément ?
Oui. Le morceau était d’ailleurs : « Try A Little Tenderness ». Exceptionnel. À côté d’Otis, il y a toute la compagnie du Motown : Aretha Franklyn, Marvin Gaye, … C’est à ce moment-là que je découvre toute la musique noire américaine et d’un seul coup elle m’envahit. Je harcèle d’ailleurs mes parents en leur disant que je ne suis pas Lyonnaise mais Américaine et que je tiens absolument à rentrer aux États-Unis pour faire ma musique (rire).
L’Ecole Nationale de Musique de Lyon vient bien après. Mes parents me répondent : « Tu veux chanter ? Eh bien, tu vas chanter. » On m’inscrit dans cette école et on me fait participer à des concours. L’ambiance n’est pas très sympa, c’est très académique et à vrai dire. Ils m’enlèvent presque le plaisir de chanter. Tout à coup, il faut chanter sans émotions, sans savoir ce qu’on raconte, suivre une partition à la lettre…

Après des études de droit, tu découvres la comédie musicale à l’Académie Internationale de Comédie Musicale où tu suis des cours d’acting, de chant et de gospel. C’est un vrai tournant pour toi ?
Pour le coup, il y a une vraie notion de piqûre. Tu sais ? Ça te démange de partout, tu ne sais plus ce qu’il t’arrive. Tu rêves de faire Fame, Flash Dance, de jouer Hodel dans Un Violon sur le toit, d’être Éponine dans Les Misérables, … Je découvre une passion et tout à coup, la comédie musicale me fait réaliser qu’on peut faire ce métier sans pour autant poursuivre une quête de succès et de gloire. Tout à coup, je me rends compte qu’il y a une autre façon de faire ce métier. Il y a des gens qui œuvrent dans les théâtres comme les marraines de Cendrillon. Chaque soir, au lever de rideau, on donne tout ce qu’on a à offrir et chaque soir quand on rentre, il y a quand-même la litière du chat à changer, la vaisselle à faire et c’est ainsi. Ce que j’aimais, c’était cet anonymat. Il ne devrait pas exister pourtant… J’ai pris de telles claques à Londres ou à Broadway ! C’était d’une qualité inconcevable. On retrouve tout : la musique, la voix, le texte, le sens d’un livret et une histoire à raconter. C’était du cinéma en live.

C’est le juste équilibre entre la musique et le théâtre finalement ?
À ce moment-là de ma vie, oui. Très certainement.

Revenons à ton spectacle, en deux mots, c’est quoi La Clef de Gaïa ?
C’est l’histoire d’une jeune fille qui s’appelle Lina Lamara, qu’on appelle Gaïa dans son enfance et qui rêve de devenir chanteuse de blues. Tu sais, c’est bête mais à certains moments, on n’est pas au rendez-vous de notre rêve. Heureusement, la grand-mère de Gaïa est là pour lui donner toutes les clés possibles afin de vivre en paix et en harmonie avec soi. Et donc avec l’autre.

Est-ce l’envie de transmettre à ton tour ce qu’on t’a transmis ?
Oui. C’est un hommage à ma Mouima mais surtout à toutes les grand-mères. À tout ce qui est transmis dans l’impalpable. Tout ce que nos ancêtres nous laissent malgré eux et malgré nous dans notre construction, éducation, sensibilité.Je crois que j’ai une chance incroyable. C’est celle d’avoir compris que dans notre façon de cohabiter tous ensemble sur cette terre, il y a quelque chose de vertical et d’horizontal. Bien entendu, chacun a sa libre pensée spirituelle avec un grand tout qu’il nommera comme il voudra. Mais le plus important, c’est ce qu’il se passe de manière horizontale, entre nous tous. C’est quelque chose qui m’a été transmis très tôt : le partage, la générosité, la notion du voisin… Ton voisin, c’est le premier membre de ta famille ! Peu importe d’où il vient.

Comme le dit Mouima dans La Clef de Gaïa : « Quand tu fais à manger pour un, tu fais manger pour dix. »
Exactement ! Sinon quel est le plaisir de manger si c’est pour le faire tout seul ?

Il semble qu’on soit tous voués à regarder en arrière à un moment donné. C’était un besoin ?
Oui, j’ai dû regarder d’où je venais pour savoir où j’allais. Je suis née à Lyon, mes grand-parents viennent d’Algérie, une autre partie vient de Perse et encore une autre d’Italie. J’ai également vécu en Andalousie, une région dont je parle beaucoup dans la pièce qui est un vrai berceau où les trois religions ont vécu ensemble de manière presque pacifique. Plus largement, cette pièce est née d’une peur : celle du communautarisme. Je trouve cela très dangereux. Je ne savais pas comment donner une réponse à cette peur si ce n’est en disant ceci : « Chez moi, c’était shabbat le vendredi, catéchisme le mercredi et je faisais une journée de ramadan par an en plus de tout ça. » J’ai été élevée dans cet œcuménisme. La Clef de Gaïa, c’est l’envie profonde de partager le fait qu’on est tous liés. Sans mysticisme aucun. Simplement, nous sommes matière organique et de ce fait, je crois que nous sommes connectés. Mais pour répondre à la question, oui je voulais comprendre d’où je venais. Et surtout savoir si je n’étais pas Américaine (rire). Mais malheureusement…

Certains des textes que tu chantes dans La Clef de Gaïa sont d’ailleurs écrits par ta mère ?
Ma maman est professeure d’arabe littéraire et il était très important pour mon metteur en scène, Cristos Mitropoulos, que je chante en arabe. Comme je le parle très peu, c’est ma mère qui a adapté les chants que j’ai écrit en anglais ou en français. Elle les a traduits en arabe littéraire avant de les travailler avec moi en arabe phonétique. Je chante une sorte de yaourt arabe si l’on peut dire.

Entre le français, l’anglais et l’arabe, y a-t-il une langue qui se chante mieux ?
Je dirais l’anglais. Parce que je suis habituée à le chanter depuis toute petite mais aussi parce qu’il y a clairement un groove qu’on ne retrouve pas ailleurs. Il y a déjà une musicalité intrinsèque dans les mots et leurs accents toniques. Même si tout cela est bien sûr une histoire de goût. J’ai découvert ensuite que chanter en arabe revêtait une puissance phénoménale. Les sonorités amènent une toute autre mélodie. Enfin, je suis arrivée à chanter en français mais c’est plus difficile.

Le français reste une langue à texte ?
Exactement. Ça n’enlève rien à la mélodie mais la notion de tempo, de biorythme n’est pas la même… C’est toujours plus compliqué de faire groover en français. Le seul qui y arrive vraiment pour l’instant à mon sens, c’est Matthieu Chedid.

Puisqu’on parle de lui, Matthieu Chedid fait justement une mystérieuse apparition dans les crédits artistiques de La Clef de Gaïa, peux-tu nous expliquer ?
J’ai passé quelque temps en vacances dans une maison en Andalousie avec une amie d’enfance. C’est une maison que j’avais louée un peu pour tout le monde, on y faisait des bœufs le soir autour de la table, du jazz... Pas mal de gens y sont passés et à un moment donné, il y a eu cette copine qui m’a appelée pour passer elle aussi. Elle m’a dit : « Je suis avec un copain, je peux venir ? » Et c’est comme ça que Matthieu a débarqué. À l’époque, je ne connaissais pas du tout son œuvre, c’était assez dingue. Comme la maison était située dans cette région qu’on appelle La Taha, il a improvisé une chanson là-dessus et c’est devenu le final de La Clef de Gaïa un an plus tard.

Avant de te lancer dans l’aventure de La Clef de Gaïa, tu reviens d’une autre aventure, celle de The Voice.
C’est très bizarre parce qu’au départ, je ne voulais pas faire cette émission et on m’a finalement donné les bons arguments. En soi, c’est une super plateforme. Les radios et les télés crochets existent depuis toujours et c’est très bien. Mais je n’étais pas très à l’aise avec l’idée de m’exposer tout d’un coup. Il y avait aussi la peur de ne pas plaire bien sûr. En fin de compte, j’ai décidé de me lancer, j’y ai pris goût et j’ai eu de la peine évidemment quand ça s’est terminé au battle. On se demande toujours si on a fait correctement son travail ? Que n’a-t-on pas su donner pour qu’ils aient envie de plus ?
Ça va durer une semaine. Une semaine durant laquelle je pleure sur mon sort. Sept jours plus tard, je suis sur mon scooter et j’écris ma première chanson Bombay1. Et je me dis à moi-même : « Honnêtement, tu attendais quoi, Lina Lamara, de The Voice ? » La réponse est simple : j’attendais qu’on me donne quelque chose. C’est de la démagogie et de la fainéantise. Premièrement, on ne va rien me donner. Deuxièmement, je pense que l’œuvre d’un artiste, c’est de se créer sa chance. S’il n’y a pas de théâtre, on va construire le théâtre. S’il n’y a pas de trottoir pour aller au théâtre, on va construire la petite route qui y mène, etc. À ce moment-là, j’ai 28 ans et je me jure que plus jamais, je n’attendrai qu’on me donne quelque chose. Donc finalement, ils m’ont rendu service. Sans eux, je serais encore en train de chanter sous la douche et d’attendre que quelqu’un vienne me chercher pour me dire : « Vous avez une voix magnifique, j’aimerais vous produire. »
1 [NDLR : Bombay figure parmi les chansons de l’album solo de Lina Lamara.]

La Clef de Gaïa, c’est ta première pièce. Elle rencontre un très beau succès et un succès qui dure, comment accueilles-tu tout ça ?
Je crois que parfois, je ne réalise pas. Chaque fois que je la joue, je la joue pour la première et la dernière fois. J’ai toujours cette sensation que ça va s’arrêter demain. Et ça fait quatre ans et c’est ma 700ème représentation. D’un côté, il y a quelque chose en moi d’hystérique par rapport à ce spectacle, comme une petite fille qui ouvre ses cadeaux. D’un autre côté, je suis au courant que le théâtre est un art éphémère. Que chaque date en plus est effectivement en plus. C’est un cadeau de plus.
Quand on me demande si je suis rentrée à Paris pour de bon et que j’explique aux gens que le spectacle repart en tournée et qu’on commence par 30 dates à Bruxelles, c’est dans leur regard que je comprends ce qu’il se passe. C’est à ce moment-là que je comprends ce que veut dire « une longue programmation à l’étranger ». C’est génial ! Et ça ne semble pas près de s’arrêter… J’aimerais le jouer partout dans le monde, ce spectacle ! Car au-delà du théâtre, il y a une notion de message. C’est ma façon à moi d’aller rencontrer le monde. Vous verrez, la lumière est conçue de sorte que je vois tout le monde tout le temps. C’est très important pour moi. Je dois pouvoir voir chacune des personnes. C’est aussi pour cette raison que je ne joue pas dans des grandes salles. La Clef de Gaïa doit rester un moment intime où on est ensemble et où on prend le temps de prendre le temps.

Dans ta pièce, tu écris justement que « le hammam, c’est avoir le temps de prendre le temps ». Est-ce que ta vie d’artiste en tournée te laisse ce loisir ?
Oui. Dès que je rentre voir ma famille à Lyon, je descends deux ou trois jours et là-bas, ils se moquent complètement de savoir devant combien de gens j’ai joué ou combien de dates il me reste dans ma tournée. Les priorités sont les suivantes : « Est-ce que tu as nettoyé ton placard, Lina ? » ; « Il faut que tu vides ta cave, Lina. » ; « Viens voir les poules comme elles sont belles ! » Et cætera, et cætera. Donc ce temps-là est pris quoi qu’il arrive (rire).

Au sein de mon quotidien, ce temps-là est très important aussi. Je me l’impose. Ça ne dure pas forcément longtemps, c’est parfois 45 minutes. Mais c’est un temps où je ne fais rien. Je coupe tout. Parfois, je suis juste dans la contemplation. Il n’y a pas longtemps, j’ai appris que ne rien faire, ce n’est pas ne pas être. En vérité, il se passe plein de choses quand on prend le temps de ne rien faire.

Parlons un peu des décors de Christian Courcelles. Pourquoi avoir choisi de jouer cette pièce dans une tente berbère ?
Quand j’ai commencé à réfléchir au décor, j’étais en contact avec Mourad Berreni qui tenait le Théâtre de L’Echo à Paris et qui m’a dit : « Écoutes, tu sais ce que tu vas faire ? Tu vas prendre une boîte à chaussure et créer ton décor miniature. » Et c’est ce que j’ai fait. Il était évident pour moi que ce serait une tente berbère pour trois raisons :

  1. C’est un décor qui correspond à mes origines.
  2. C’est la tente du nomade puisque nous ne faisons tous que migrer. Pas seulement physiquement. La pensée migre également. Chaque matin, on se réveille un peu plus différent, un peu plus nouveau.
  3. Enfin, c’est simplement le kiff que l’on a tous vécu étant petit ! Construire une tente avec quelques chaises et une paire de draps (rire).

Le mot « berbère » est sujet à beaucoup d’amalgames. Qui sont les berbères au juste ?
Haroun a justement fait un super sketch là-dessus où il essaye de répondre à la question : « Qu’est-ce qu’un Arabe ? ». Et il commence son sketch par dire : « Bah je ne sais plus ». Les berbères ne sont pas arabes à l’origine. C’est un peuple nomade, habitant les montagnes — de l’Atlas marocain, d’Algérie ou d’ailleurs — et agnostique d’un point de vue religieux. Contrairement aux Arabes qui, eux, viennent davantage de la Perse et l’empire Ottoman, aujourd’hui devenu la Turquie. L’Afrique du Nord n’était pas arabe en principe… Mais c’est une colle. Cette question n’est pas évidente du tout. Il y a eu des déplacements de civilisations qui rendent la chose encore plus vague. En tout cas, je sais que quand je me rends au Maroc ou en Algérie, les berbères sont considérés comme les gens des montagnes ayant un rapport encore très proche aujourd’hui à la nature.

La Clef de Gaïa a beaucoup tourné en France mais également au Maroc, en Belgique aujourd’hui et bientôt en Algérie. Comment ton message est reçu par autant de publics différents ?
C’est fabuleux. Le plus jeune enfant que j’ai eu avait 4 ans et le plus vieux en avait 98. En termes de cultures et de nationalités, c’est incalculable. J’ai croisé tout le monde ! En vérité, j’avais surtout peur de me confronter à la population maghrébine. Peur que mon propos soit compris dans le mauvais sens ou mal interprété. Au contraire, c’est fabuleux. Sur le même siège, il peut y avoir une femme voilée, un monsieur coiffé d’une kipa et une personne catholique ou orthodoxe à côté. À défaut d’aller dîner tous ensemble après, ils seront au moins venus voir ensemble La Clef de Gaïa. Et ils se seront parlé à la sortie du spectacle. C’est le plus beau des cadeaux.

Le plus beau des cadeaux, ne serait-ce pas de jouer La Clef de Gaïa à Jérusalem ?
C’est prévu ! Le jouer là-bas serait incroyable. On verra comment ça se passe. C’est une invitation à laquelle j’ai répondu oui avec grand bonheur. Maintenant, il faut attendre. Dans certains pays, les choses prennent plus de temps que dans d’autres.

Après avoir autant tourné, ça fait du bien de pouvoir s’installer pour 30 dates au Public à Bruxelles ?
Oui ! J’adore les tournées mais je préfère prendre le temps de m’installer et de créer mon chez-moi quand je le peux. Trouver ma ritournelle et pouvoir me dire : « On a encore demain. » C’est frustrant de rentrer dans la vie des gens le temps d’une date – je parle des équipes des salles de théâtre. À Quimper où l’on a joué dernièrement, on a été reçu comme des rois. Ça s’est tellement bien passé. On a rigolé avant, pendant et après et ça a duré en tout et pour tout 12 heures ! J’avais envie de leur dire : « Je reviens ! » Mais c’est faux, je ne peux pas. C’est ça qui est frustrant : d’entrer dans la vie des gens et d’en sortir aussi rapidement. À Bruxelles, on m’a proposé de rentrer à Paris quand j’ai des jours de congé, j’ai refusé. Ce sera ma ville pendant un mois et demi.

Le travail de l’artiste, c’est entre autres de faire de l’universel avec de l’intime. Dans La Clef de Gaïa, le quotidien vécu avec ta grand-mère t’amène à parler de transmission, d’identité, de religion, de sexualité même…
Etait-ce l’un des objectifs de la mise en scène de Cristos Mitropoulos ?
Complètement. On a travaillé là-dessus. Dès le début, il m’a demandé d’écrire des dialogues avec ma grand-mère. Peu importe la situation, il voulait des scènes de vie avec ma grand-mère. À la base, je ne savais ni où cela allait m’emmener ni en quoi cela allait correspondre à mon désir d’aborder toutes ces thématiques. C’est en entamant le travail de répétitions que j’ai commencé à entrevoir le lien. Cristos est brillant et très malin. Il sait qu’il faut partir de ce que l’on connaît : soi-même. Ne pas hésiter à en rire et à le décaler pour que l’empathie s’installe. Et dès l’instant où cette relation empathique s’est établie entre le public et moi, c’est gagné. On peut aller partout. Le principe était le suivant : partir de la petite histoire pour raconter la grande.

Ce spectacle est né début 2015 et tu continues à le jouer aujourd’hui. Comment grandit-il avec toi ?
Je m’octroie plus d’espaces de liberté qu’avant. Au début, j’étais encore la bonne élève en droit, soucieuse de ne pas sortir du cadre fixé par le texte et la mise en scène. Aujourd’hui, je sais qu’il y a des rendez-vous très précis auxquels je dois être pour que la recette prenne. En dehors, je me donne le droit de sentir davantage la salle et d’adapter mon discours à la manière dont il résonne dans celle-ci. À la manière dont il est savouré ou non. Si je sens que ça bloque, je passe à autre chose. Si je sens que c’est l’hystérie générale et que j’ai envie d’en faire plus, c’est au contraire le moment où il faut être encore plus en contrôle pour ne pas se laisser galvaniser et en faire des caisses. Car je sais aussi que quoi qu’il arrive, il y a un rendez-vous final que je connais et auquel je dois me rendre. De manière générale,je me détends de plus en plus. Au début, j’avais très peur. J’ai toujours eu le trac et je l’ai encore aujourd’hui bien sûr mais désormais je sais que quoi qu’il arrive, je ne suis pas en terrain hostile. Tout va bien, on est là tous ensemble.

Pour reprendre tes mots : « Entre le visible et ce qui est, il y a de longues histoires » ?
Oh oui (rire)… C’est ce qui fait toute la difficulté de vivre et toute la beauté de la vie à la fois, je crois. Par exemple là, toi et moi, on est sur Skype. On sait ce qu’on a vécu. Toi : tu vois un bureau, une fenêtre. Moi : je vois une guitare dans le champ, un clavier derrière qui a l’air assez dingue. On peut décrire exactement ce qu’il s’est passé. On peut dire que c’était une super interview, un moment où on a pris le café, moi j’ai fumé des clopes… Il y a ça : cette chose en commun. Pourtant, on racontera chacun les choses différemment, parce qu’on les aura perçues différemment. Il y a quelque chose qui est visible et que l’on a vécu et il y a ce qui est, qui recèle déjà des différences. Déjà là. Rien que là. Alors imaginons croiser une personne que l’on ne connaît pas et que l’on juge… Restons tranquilles. On ne sait pas. Et peut-être qu’à la fin, on se rendra compte qu’on ne savait rien du tout. Restons tranquilles. Vraiment.

Comme dit Bernard Werber : « Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez en comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre. »
Exactement. Je l’adore ! J’avais 18 ans quand j’ai lu cette phrase. J’avais déjà lu La trilogie des fourmis et certains autres de ses premiers livres évidemment mais l’Encyclopédie du savoir relatif et absolu, j’y retourne encore très régulièrement. Ce passage sur la communication est sublime ! Tellement réel et tellement juste.

On se quitte en musique ?
Avec plaisir ! Qu’est-ce que tu veux écouter ?

C’est à toi de me le dire.
Eh bien, en ce moment j’écoute Joss Stones. C’est une Anglaise qui fait de la soul blues. Il y a un morceau qui peut être pas mal pour terminer, c’est « Goodbye ».

 

Interview : Marin Lambert

À VOIR EN CE MOMENT : La Clef de Gaïa de Lina Lamara se joue au Public du 23.01 au 02.03.19. Avec : Lina Lamara et Pierre Delaup (guitare). Mise en scène : Cristos Mitropoulos.


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