MAI 2019
Moumen Othmane
Othmane MoumenEn cette fin de saison, Othmane Moumen se glisse dans le parcours agité de celui que l’on a surnommé « Elephant Man ». Même si le spectacle est une toute nouvelle écriture librement inspirée de la vie de Joseph Merrick, comment aborder ce que l’on appellerait au cinéma un biopic ? Comment incarner un personnage que tout le monde croit connaître ? Comment marcher dans les pas de ce personnage hors norme ?
Rencontre avec un de nos comédiens les plus agiles !
Parmi tous les personnages que vous avez déjà interprétés, quel serait celui qui se rapproche le plus de vous ?
J’ai joué 70 pièces et à chaque fois, les personnages que j’interprète sont constitués de fragments. Ces fragments, j’essaie toujours de me convaincre qu’ils font partie de moi. Mais je dois reconnaître que le rôle de Chaplin, créé au Théâtre du Parc, m’a beaucoup marqué. Certainement parce que c’était un véritable challenge et que j’ai énormément travaillé en amont pour me l’approprier. Ce travail de documentation a fait que j’y ai mis beaucoup de moi. À l’époque, je voulais changer de registre et me distancier un peu de l’humoristique. Ça faisait longtemps que je n’avais pas fait un bon drame, montrer qu’au fond je n’étais pas qu’un clown.
Il y a eu également votre rôle dans « Moutoufs »…
Oui mais là, c’était assez différent car c’était une autofiction et une autobiographie. Ça parle d’identité. Je ne me voyais pas comme un personnage. Je me sentais d’ailleurs assez nu sur scène.
D’où vous est venue l’envie de faire du théâtre ?
Tout a commencé dans mon quartier à Forest. J’ai commencé par faire de l’impro avec un pote, puis j’ai monté un projet avec la maison de jeunes sur l’identité parentale. Ça a eu un très beau succès dans le milieu associatif et c’est alors que j’ai eu la chance de rencontrer des comédiens français et canadiens. Ils avaient réussi à faire de leur passion un métier. À l’époque, je ne savais pas que c’était possible. J’ai décidé de plaquer mes études d’alors pour me lancer au Conservatoire. Et ce, alors que je n’avais jamais été au théâtre de mon plein gré auparavant. Je faisais uniquement du théâtre dans le milieu associatif. Le seul truc que je savais c’est que je ne voulais pas passer le reste de ma vie derrière un bureau. J’avais des fourmis dans les jambes.
Quelles ont été vos influences théâtrales ?
La musique m’inspire beaucoup. La boxe m’a également beaucoup influencé dans la façon de renvoyer le texte et les répliques. Puis ça m’a aidé à m’en sortir dans le milieu théâtral en tant que tel car ce n’est pas un milieu facile au premier abord. Il faut se faire une place. Enfin, de grands acteurs internationaux comme de grands comédiens belges m’ont également influencé : Robert De Niro, Jim Carrey, Al Pacino, Olivier Massart, Fabrice Rodriguez…
On vous a vu dans des spectacles très différents les uns des autres, comment définir votre univers théâtral ?
J’espère avoir plusieurs univers mais je crois qu'il y a tout de même une ligne qui se dégage, celle du travail corporel. Je suis vraiment fan des pièces sans parole et je suis fasciné par le clown : émouvoir sans un mot. La pièce « Doffice » par exemple était une pièce sans parole qui a très bien marché. Nous l’avons adaptée en film et celui-ci a reçu le grand prix du BIFF cette année.
Comment s’empare-t-on d’un personnage comme Joseph Merrick, le personnage que vous incarnez dans « The Elephant Man » ?
Quand Michel Kacenelenbogen est venu me proposer le rôle, il m’a dit « j’ai envie de travailler avec toi car ce que le personnage vit, tu as dû le vivre un peu toi-même. Ce regard des autres sur toi ». Mais j’avoue ne jamais avoir appréhendé ce personnage en tant que victime. C’est un personnage qui a été brimé toute sa vie. Ce qui n’est pas mon cas, je n’ai aucun traumatisme.
C’est au final un rôle très éloigné de moi. Je ne peux pas vraiment me permettre de composer un personnage avec lui car je porte un masque durant tout le spectacle. Le jeu doit être fait en douceur et avec finesse. Je dois presque m’effacer derrière ce masque sans l’interpréter. Ce n’est pas de la commedia dell'arte.
Cela vous a demandé une approche particulière pour construire le rôle ?
Michel ne voulait pas de maquillage pour le rôle. De plus, je ne devais pas bouger ou très peu, ce qui rend paradoxalement le rôle très physique. J’ai d’abord regardé un documentaire qui évoquait la reconstitution de la voix et de la marche de Joseph Merrick par des scientifiques. C’est également sur ça que je me suis concentré. J’ai un peu travaillé à la manière d’un Marlon Brando. Michel m’a enfin demandé que le personnage créé un choc, qu’il soit effrayant. Tout ceci était une contrainte. Mais la contrainte m’aide. J’adore être méconnaissable.
Méconnaissable ?
Déjà, on ne voit que mes yeux à cause du masque que je porte. Je bouge très peu, mais j’ai une posture très particulière. Le maintien demande un travail physique même si je ne bouge que très peu. C’est très fatigant. Enfin, il y a une difficulté : faire passer des émotions avec cette prothèse en silicone. Il y a également eu un énorme travail de diction car ce personnage ne parle pas correctement.
J’ai également pensé au handicap du personnage et j’ai fait attention à sa posture. Il était boiteux et avait la colonne de travers, ce que j’ai essayé de retranscrire au mieux et en douceur sans me casser le dos. Il fallait tout de même que je me ménage car je dois absolument supporter la chaleur dans les prothèses créées pour le personnage.
Après avoir été présenté comme un phénomène de foire, Joseph Merrick est devenu un cas d’étude médicale. Au-delà du bond dans l’histoire que nous fait faire le spectacle, que retenez-vous de la vie de cet homme ?
Joseph Merrick a vraiment existé. Il est mort à la fin du 20ème siècle. Il a vécu à la même époque que Jack l’éventreur dans une Angleterre à l’industrialisation très développée. Après avoir fabriqué des cigares dans une usine, il a choisi de faire du porte à porte malgré ses difformités alors qu’il n’est plus en mesure de travailler en usine à cause du développement de sa maladie. Ensuite, Joseph Merrick est présenté dans des foires comme un monstre à travers toute l’Europe jusqu’au moment où il est amené chez le docteur Frederick Treves. C’est là que l’histoire de notre pièce débute.
Le parcours de Joseph Merrick m’inspire une leçon de vie : l’optimisme. Il avait un véritable espoir en l’humanité. Ce n’était pas un espoir naïf, se disant qu’il allait guérir. Mais un espoir en la vie malgré ses souffrances quotidiennes.
Quels sont aujourd’hui les véritables monstres selon vous ?
Chacun a sa part de monstre en soi. On essaie toujours de la cacher mais elle refait toujours surface à un moment ou un autre. La vraie question est : est-on prêt à assumer cette part de monstre ? Et surtout faut-il vraiment l’assumer ? Faut-il être comme Donald Trump, un monstre qui s’assume ?
Propos recueillis par Bastien Craninx
À VOIR EN CE MOMENT :
The Elephant Man de Anne Sylvain. Librement inspiré de la vie de Joseph Merrick
Mise en scène : Michel Kacenelenbogen
Avec : Bénédicte Chabot, Yves Claessens, Jo Deseure, Itsik Elbaz, Othmane Moumen, Ariane Rousseau et Anne Sylvain
Du 09.05 au 22.06.19
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