FEVRIER 2011
Kumps Cogniaux
Marie-Paule Kumps et Bernard Cogniaux: artisans bricoleurs de théâtreMarie-Paule Kumps et Bernard Cogniaux : artisans bricoleurs de théâtre
Voici l'interview matinale de Marie-Paule Kumps et Bernard Cogniaux, ce couple « à la ville comme à la scène ». A nouveau réunis dans « l'Ethique du lombric » de Stefano Benni, ils nous reçoivent chez eux devant quelques croissants et un pot de confiture de prunes, selon Marie-Paule, de pruneaux d'après Bernard. Ca commence bien, ils ne sont déjà pas d'accord sur la confiture...
A travers leur parcours d'acteurs, auteurs, metteurs en scène, créateurs et de parents, voici quelques considérations sur le travail théâtral, les collaborations artistiques, la vie et le temps qui passe.
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Le Public : On imagine fort bien que des interviews du couple Kumps - Cogniaux, il y a dû en avoir des tas ?
Bernard Cogniaux : Oui, quelques-unes, et pas toujours à propos de théâtre. Pour la saint Valentin par exemple. Nous avons aussi été invités à une émission sur le couple et la famille.
Marie-Paule Kumps : A un moment donné, pour une certaine presse populaire, nous étions « le couple » un peu sympa. Mais pour ma part, je n'ai jamais eu peur des médias parce que le théâtre existe depuis toujours et qu'il ne faut pas le laisser se faire dépasser. Alors, je trouve que c'est chouette quand des journaux, style « Femmes d'aujourd'hui » ou « Ciné télé revue » ont envie de parler d'acteurs de théâtre. Parfois, les comédiens n'ont pas envie qu'on parle d'eux ailleurs que dans les pages culturelles, mais nous on se disait que ce ne serait peut-être pas un article fidèle, mais qu'on allait parler de nous, acteurs de théâtre. Et les lecteurs pouvaient se dire : « Tiens, le théâtre ça n'a pas l'air d'être un si vieux truc que ça. Ce sont des acteurs vivants qui racontent des histoires. C'est chouette ! On pourrait y aller ?»
Bernard : C'est vrai qu'il y a parfois ce paradoxe chez certains comédiens qui ne veulent pas « se compromettre » dans ce type d'interview, mais qui d'autre part disent que les acteurs de chez nous ne sont pas assez reconnus.
Le Public : Faisons un peu d'histoire. C'est à la Ligue d'improvisation que vous vous êtes rencontrés « théâtralement » ?
Marie-Paule: Professionnellement, oui. Nous avons tout de suite travaillé ensemble la première année, nous étions dans la même équipe. Qu'est-ce qu'on s'est amusé ! Et on s'est installé ensemble deux ans après.
Le Public : Est-ce que ça veut dire que le coup de foudre à correspondu au coup de théâtre ?
Bernard: Ca a mis un peu de temps, on a fait d'abord connaissance.
Le Public : L'envie de faire des choses ensemble est venue rapidement, ou bien avez-vous eu d'abord des carrières individuelles ?
Bernard : Nous étions chacun engagé là où on voulait bien nous engager comme acteur. et la première fois que nous avons joué ensemble c'était dans « Noces ».
Marie-Paule: On jouait des amoureux en plus, un couple qui se mariait.
Bernard : A l'époque, je travaillais assez régulièrement au Rideau de Bruxelles. Jules-Henri Marchant m'a proposé de faire un midi du Rideau. J'ai d'abord remis un projet de pièce écrite, mais il m'a dit que l'idée était de mettre un comédien sur un plateau pendant une heure et de se dire : « Voilà, et maintenant qu'est-ce qu'il fait ? » On voulait que ce soit un peu atypique. Je me suis dit qu'on pourrait faire un truc inspiré de la Ligue d'impro où on avait tout un éventail de façons de travailler pour développer l'imaginaire. Et j'ai demandé à Marie-Paule de faire ça avec moi.
Marie-Paule : Et tu as proposé à Jules-Henri de travailler avec moi. Il était tout à fait partant. C'était après la naissance de Lisa ? Parce qu'à la reprise, j'étais enceinte d'Antoine.
Bernard : Oui, je me souviens que Lisa était tout bébé quand on travaillait là-dessus.
Marie-Paule : Et ça s'est appelé « Orage sur un dictionnaire ». Et moi, j'étais trop heureuse. D'autant plus qu'on a eu une belle carte blanche. Alors, on chipotait, on cherchait. C'était tous des sketches. On rêvait, on faisait des trucs avec des bouts de papiers, avec un piano, avec des ombres... On a fait une chanson à quatre francs cinquante. C'était très, très amusant ! C'était toutes des petites choses complètement fantaisistes. Ca à été notre première collaboration de spectacle et d'écriture.
Le Public : Les idées, elles viennent d'où et comment ? Est-ce que c'est une envie commune qui part d'une discussion autour de la table du petit déjeuner ?
Bernard : Ca change, je trouve. Parce qu'à l'époque, les idées venaient plutôt de : « Bon, on a à faire un spectacle d'une heure. Qu'est-ce qu'on fait ? » Il y avait une espèce d'urgence. On s'inspirait d'univers qu'on connaissait ou d'exercices qu'on avait faits. Le but, c'était simplement de monter un spectacle. Il n'y avait pas une ambition autre. On n'avait pas un projet qui devait raconter forcément quelque chose. C'était plutôt : « Qu'est-ce qu'on va faire ? » Il n'y avait pas d'objectif.
Marie-Paule : Nous arrivions en répétition et l'un de nous disait : « Moi, j'ai préparé un peu la répèt d'aujourd'hui et je propose ceci ». Et on cherchait autour d'une peinture, ou d'autre chose. Et puis la fois d'après, c'était l'autre qui amenait une idée et qui dirigeait. On fourmillait d'idées !
Bernard : Maintenant nous avons des projets qui sont devenus - et c'est naturel - plus élaborés. Avec des désirs : « On voudrait parler de ça, Que ça raconte ça. Et même que ça se passe comme ça. Que le ton soit celui-ci plutôt que celui-là. » Donc l'exigence devient plus précise et en même temps plus étroite. Alors qu'avant nous partions d'une base plus large, avec en tête : « Amusons-nous ! »
Marie-Paule : Mais dans « l'Ethique du lombric » quand même, on a retrouvé ce plaisir de chercher, de chipoter. Avec les textes de Benni, nous avions de nouveau envie de raconter des histoires, de faire du bricolage, de l'artisanat. Moi j'ai retrouvé le plaisir de chercher. « Tiens, oui des poupées ! Mais comment ? » « Regarde, si on faisait un pont ! » Bernard est allé à la cave et il a trouvé des tuyaux qui faisaient un chouette bruit. « Qu'est-ce que tu fais ? » « Ben, je fais du bruit avec des tuyaux. » Et on a intégré tout ça.
Bernard : On avait envie de faire des sons, de la musique avec des objets.
Marie-Paule : Bien entendu, nous étions nourris de toutes les histoires de Benni qu'on avait choisies, mais avec le plaisir de chercher et découvrir. Bernard a eu pas mal d'idées, je trouve. C'était gai de chipoter à nouveau. on avait moins pu le faire sur « Tout au bord » parce que c'était une pièce qui raconte quelque chose de façon plus chronologique, même si on a essayé d'être fantaisistes à d'autres égards dans cette pièce.
Bernard : Moi, il me semble que chaque projet qu'on a fait ensemble a un peu une histoire différente. Nous n'avons pas de « méthode ». Par exemple, la dernière fois que nous avons collaboré... on était à trois ! c'est Bernard Halut qui est venu nous chercher pour faire un scénario de long métrage.
Marie-Paule : L'écriture d'un film, c'est notre dernière collaboration d'écriture en date. Ecrire à trois, ça fonctionne encore différemment.
Bernard: Oui. par exemple, « Pour qui sont ces enfants qui hurlent sur nos têtes » qui, si on veut, annonçait « Tout au bord », nous l'avions écrit d'une façon éclatée. Sur ce thème-là, on a collé des séquences qu'on pouvait agencer de telle ou telle manière. Après, il a fallu réécrire pour que ça tienne, que ça ait un sens. Par contre, dans « Tout au bord », on a trouvé un début - après avoir beaucoup tâtonné - et puis, on a avancé sans savoir où on allait. On avait, c'est vrai, les trois-quarts de la pièce, mais sans en connaître la fin. On avait des idées, mais on n'avait pas la fin.
Marie-Paule : Un jour, Bernard à réécrit la première scène, et là tout à coup j'ai dit : « Ah ! j'adore ! Ca y est, c'est ça ! » On avait beaucoup écrit avant d'arriver à un début qui nous satisfasse tous les deux. Et le fait d'avoir beaucoup écrit de choses - qui finalement filaient à la poubelle - faisait malgré tout que nous étions nourris de plein de choses : des personnages, d'une ambiance, d'un sens.
Bernard: Nous voulions écrire une narration qui soit linéaire - même s'il y a des ellipses - et on ne savait pas où elle allait se terminer.
Marie-Paule : Mais nous savions que nous avions envie de raconter la vie de gens qui sont en perte de vitesse par rapport au monde. Ce n'était pas dit tel quel, mais on avait envie de parler du monde d'aujourd'hui et de cette société qui parfois nous rend fous parce que ça va trop vite et qu'on ne sait plus où est l'essentiel et où est l'accessoire. Pourquoi doit-on vivre et quelle décision doit-on prendre ?
Le Public : Donc, au fil du temps, votre « non-méthode » a pourtant bien évolué ?
Marie-Paule: Il y a une chose que j'ai remarquée par rapport à notre évolution -comme tout le monde je pense qui évolue dans son métier - c'est que ces dernières années, ce qui nous a pas mal convenu c'est de travailler avec une tierce personne. Parce que, comme on l'a dit, avec le temps on devient plus exigeant, qu'on cède moins sur ce qu'on veut, à quoi on tient. Alors un regard autre peut beaucoup nous aider. « Tout au bord », nous l'avons montré assez vite à Michel et Patricia et c'était très chouette parce que ça faisait un rebond de quelqu'un de l'extérieur qui ne savait pas lequel de nous deux avait écrit quoi, qui avait corrigé l'autre. C'est le regard extérieur en qui nous avions confiance. Ensuite Pietro Pizzuti est entré dans la danse et avec lui nous avons revu toute la matière, corrigé, coupé, chipoté.
Bernard : Nous arrivions avec une pièce dont on savait qu'elle n'était pas faite, même si la matière était là.
Marie-Paule : En tant qu'acteurs aussi on aime bien travailler avec un metteur en scène qui écoute ce qu'à a dire l'un ou l'autre, qui apporte, qui tranche. Dans «l'Ethique », même si on ne l'a pas écrit, c'était chouette d'avoir Sylvie De Braekeleer avec nous. Parce qu'on est quand même un vieux couple d'acteurs qui se connaissent bien. Elle nous a écoutés et fait des propositions qui partaient de nous deux.
Bernard : Et nous avons pu lui faire part des désirs qu'on avait au début, et elle a pu organiser tout ça.
Marie-Paule: Ca rend les choses plus confortables pour nous, quand il y quelqu'un comme Sylvie ou Pietro qui rebondissent sur ce que nous proposons..
Le Public : Vous avez malgré tout, l'un et l'autre, des projets personnels, des envies qui vous sont propres ? Dans ces cas-là, comment ça se passe avec l'autre ? Est-ce qu'il est malgré tout impliqué, consulté ?
Bernard : J'ai des projets. Des choses que j'ai écrites, qui ne sont pas forcément montrables en l'état. J'ai des envies. mais comme on ne peut pas mener dix projets de front, le temps d'écriture, malheureusement, est la chose qui se met dans les trous. Et donc, il faut des moments plus calmes - sans engagement en fait - pour pouvoir écrire. Ne pas travailler, pour pouvoir travailler... Bref, pour répondre à la question, je crois que quand je pense avoir écrit quelque chose de montrable, j'ai tendance à la montrer d'abord à Marie-Paule plutôt qu'à d'autres personnes. Si c'est un projet personnel, j'attends d'y voir assez clair plutôt que de lui proposer quelque chose qui soit tellement informe qu'elle n'ait rien à dire parce qu'elle ne s'y retrouve plus.
Marie-Paule : Moi, je dirais qu'avec le temps, on a beaucoup évolué, dans notre relation personnelle et dans notre relation au travail. Avant, j'avais plus tendance dès le départ à mettre Bernard dans le bain de ce que je faisais. Maintenant, je le fais moins. J'ai fait des choses que je ne lui ai pas montrées, des choses que j'ai écrites pour d'autres, Lorette Goose, Virginie Hocq ou Laurence Bibot. Bernard n'est pas forcément impliqué, surtout dans les projets que je mène avec d'autres personnes, d'autres équipes.
Bernard : Oui, ça rejoint ce que je disais au début. Avec le temps on est plus exigeant. Chaque création étant une étape, on a envie à la suivante de ne pas se répéter et d'aller plus loin.
Le Public : Il y a des domaines théâtraux ou artistiques que vous n'avez pas encore abordés et que vous aimeriez explorer ?
Marie-Paule: Moi, j'aimerais travailler plus pour le cinéma. Quand nous avons écrit ce long métrage avec Bernard Halut, c'était chouette de se retrouver à trois, et pas qu'à deux.
Bernard : Moi, j'aimerais bien faire la bande-son d'un spectacle. Mais les décors, par exemple... j'aurais peut-être des idées, mais pour finaliser ça je ne crois pas que j'ai les compétences nécessaires. Et pour les costumes...sûrement pas ! Une bande-son, oui, pourquoi pas, ça m'amuserait ?
Le Public : En conclusion, il semble que vous ayez exploré toutes les pistes du travail en tandem ?
Bernard : La seule combinaison qui n'est pas encore arrivée, c'est que Marie-Paule écrive seule un texte que je jouerai.
Marie-Paule: Pourtant j'ai déjà eu des idées...
Le Public : A vous entendre, on a l'impression que vous n'arrêtez jamais !?
Bernard : C'est-à-dire que, ou bien nous avons du travail qui nous est proposé, ou bien nous n'en avons pas et on en profite pour écrire ou mettre en route et faire avancer des projets.
Marie-Paule : Oui, on est quand même des motivés, des enthousiastes. Et on fonce comme des fous ! Comme quand on a fait « Saison one» pour Nathalie Uffner. J'avais envie de faire un truc « feuilletonnant » et Bernard s'est mis dans le projet. On étant tout de suite partants. Mais on était fous ! On a écrit une série !
Bernard : Quatre heures et demies de spectacle.
Marie-Paule : Trois spectacles de deux épisodes chacun. On était fous !
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