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FEVRIER 2011

Daniela Bisconti

Daniela Bisconti: rencontre au coeur de l'intime



« Kiki van Beethoven » est là, dans la grande salle du Public. L'occasion d'une rencontre, au cœur de l'intime, avec sa metteure en scène, Daniela Bisconti.

Daniela Bisconti est comédienne, metteure en scène, pédagogue. Elle a joué et mis en scène de grands textes et elle a fréquenté nombre de scènes belges et plateaux de tournage. Chargée de cours au Conservatoire de Bruxelles, elle travaille à former les nouvelles générations d'acteurs.

Entretien avec une femme belle, douce et exigeante qui aime mettre au jour des aspects secrets et de nouveaux talents.

 

Le Public : Avant « Kiki van Beethoven », il y avait eu déjà la mise en scène d' « Oscar et la dame rose », autre monologue d'Eric-Emmanuel Schmitt. Est-ce à dire qu'il y a des affinités avec ce théâtre intime ou avec les monologues ?

Daniela Bisconti : « Oscar » était une proposition que j'avais faite parce que j'avais des affinités avec le propos. Mais ici, les choses se sont présentées différemment. On m'a proposé de mettre en scène « Kiki » et j'y ai vu l'opportunité d'approfondir une approche du monologue que j'avais entamée avec « Oscar ». Quelque chose qui permette de décupler les personnages avec un seul acteur, et de faire de lui, en quelque sorte, sa propre galerie de personnages. Pour moi, ce qui est fascinant dans le monologue, c'est que l'acteur peut être à la fois le décor, le centre, la colonne vertébrale du spectacle grâce à toute une série de personnages qui défilent à travers lui. Et ça, pour moi, c'est l'hymne à l'acteur.

Le Public : Une seule actrice en scène et des tas de personnages en elle. C'est aller au plus intime?

Daniela : Même quand l'expression est extravagante, quand les situations sont baroques, tout part toujours de l'intime. Nourrir son jardin secret pour rendre ainsi au personnage quelque chose qui soit exceptionnel, personnel. C'est le départ dans l'intime qui permet d'aller vers n'importe quelle expression, n'importe quel style.

Le Public : En tant que comédienne aussi?

Daniela : Oui, bien sûr. Et d'ailleurs, je me suis frottée à la mise en scène justement pour peaufiner, approfondir quelque chose que j'avais touché en tant qu'actrice et que je continue de visiter à travers la mise en scène et la pédagogie. Ca me fascine, cette capacité à aller chercher des choses dans lesquelles l'acteur, la personne, se terre, se cache, pour en faire quelque chose d'ouvert, d'offert et d'accessible à tout un chacun.

Le Public : Pour dévoiler cet intime, il y a d'autres moyens. Des envies d'écriture peut-être ?

Daniela : J'écris toujours beaucoup autour des personnages, mais en fait ce que je fais surtout c'est dessiner, peindre. Les couleurs, pour moi, ont une intensité, une signification, une symbolique que j'aimerais retrouver à travers les nuances d'une émotion. C'est comme une autre manière d'écrire, dans l'espace. Je n'ai jamais franchi le pas d'écrire mes textes et les donner au public, je n'ai pas cette audace-là. Mais j'écris autrement. en me laissant traverser par les mots d'un auteur, en allant chercher des choses qu'il n'avait pas prévues. En ce qui me concerne c'est ce qui me paraît le plus riche et le plus inventif pour l'instant. Il y a une liberté folle dans le fait d'utiliser d'autres moyens et d'autres matériaux que les siens propres. Pour « Kiki », je suis arrivée en répétitions avec toute une série de personnages très dessinés. Après, je les propose, et l'actrice prend ou ne prend pas, ou propose autre chose. Ca c'est la rencontre. Mais moi j'avais « croqué » les personnages, un peu à la Dario Fo.

Le Public : Dario Fo, c'est un maître pour toi, non ?

Daniela : Oui. c'est surtout le berceau du théâtre. Et là-dedans, l'acteur est véritablement son « tout ». Il est les personnages, son histoire, son décor, son narrateur, il est l'auteur...et ça c'est magnifique. Voilà pourquoi je reviens souvent à ces amours-là, parce que ça ne vous trahit jamais.

Le Public : Nous parlons de Dario Fo, mais quels ont été les autres maîtres, les autres figures que tu as croisés et qui t'ont influencée ?

Daniela : Peter Brook est une grande influence. C'est un absolu pour moi, son sens de l'humain, l'expression dans ce qu'elle a de plus condensée, minimaliste et toujours vivante, en action. Brook c'est un maître. Mais y a l'influence de pratiques aussi. Celle de Dario Fo, que j'ai beaucoup exercée. Grotowski aussi, qui fait que le corps se délie. Oui, ce sont des rencontres essentielles dans ma vie qui ont fait que j'ai pu grandir et qui m'appellent à grandir encore. Je vais pratiquement tout voir, pour savoir dans quel monde je vis et comment il s'exprime. Mais je vois aussi se pointer l'émergence de nouvelles écritures et de nouveaux penseurs.

Le Public : Et de nouveaux acteurs, toi qui donnes cours au Conservatoire ?

Daniela : C'est magnifique au sein d'une équipe, d'une classe, de voir se poindre une perle rare ! Et on se dit : « Elle ne le sait même pas ! » Et on voit par de petites choses que ça va donner une merveille.

Le Public : Quel est ton travail à ce moment-là ? De ne pas toucher à la perle rare, de la laisser brut ? Ou au contraire de la polir, de la façonner ?

Daniela : La première chose, c'est de proposer à l'acteur un chemin ludique, pour voir quelle est sa capacité d'inventivité, sa fantaisie, son intelligence, son état d'éveil. Mais il y a aussi la liberté. Il y a énormément de contraintes, mais j'essaie de les glisser dans le ludique. Je peux voir alors si, à partir de ce que je propose, il peut aller voir ailleurs. Et s'il peut faire ça, on peut aller encore plus en profondeur et donc aller vers d'autres choses. Et c'est comme ça avec tous les acteurs, ceux que je connais bien et ceux que je ne connais pas ; j'observe énormément et puis je me dis : « Et pourquoi pas ça ? » Mais ça doit toujours rester léger. Et quand on a en face de soi quelqu'un qui pige ça, et qui le prend, alors c'est une fête ! Donc j'essaie toujours de regarder un peu vivre les gens avec qui je travaille, et là j'apprends énormément de choses.

Le Public : C'est là que naît l'envie de travailler avec tel acteur ou telle actrice?

Daniela : Oui, ça peut naître là. Comme ça peut naître de les voir employés toujours dans une même gamme et de me dire : « Mais non ! elle, je sais qu'elle peut faire autre chose ! », ou « Lui, il joue tout le temps en force, je suis sûr que c'est un timide au fond. » Et alors ça déploie des choses magnifiques, quand on travaille dans le secret, dans l'intime. La chose qu'on n'a pas vue a priori. Et ça devient riche pour moi et riche pour lui ou pour elle. Mais évidemment, il faut avoir devant soi des gens qui ont envie de ça, parce que je ne crois pas qu'on choisit des acteurs uniquement ; ils vous choisissent aussi. Il y a vous, ce qui émane de vous et ce qu'il y a comme possibilités. Moi, je crois que ça doit être des épousailles.

Le Public : Est-ce qu'il y a des envies en ce moment, des projets ? Des choses sur lesquelles tu travailles ?

Daniela : Il y a une écriture qui est en train de se faire autour de quatre femmes. Ca doit se mettre en route l'année prochaine. C'est un texte de Dominique Bréda. Et puis j'ai en tête une mise en scène que j'ai vraiment envie de faire, parce qu'il y a là une écriture qui me demande de travailler sur le temps, sur le découpage, comme au cinéma. J'aime beaucoup ce genre de défi. Et pour moi, personnellement, je suis en quête d'une vraie belle prise de parole, comme ça avait été le cas dans « Une journée particulière » par exemple. Une prise de parole qui vous dépasse, et c'est la grâce alors. J'aimerais beaucoup retrouver le côté festif du théâtre. Depuis quelques années les distributions sont petites. J'aimerais bien me retrouver avec une grosse équipe et que chacun ait son morceau à défendre et soit à l'aise.

Le Public : Ca, ce sont des envies. mais qu'en est-il des rêves ?

Daniela : Dans la vie personnelle ou dans le travail ? Parce que moi, je suis mariée à mon travail ! Quand on passe des journées entières plongée dans le théâtre et que le soir on va encore au théâtre. Mon rêve serait d'ouvrir un atelier d'acteurs, comme ça existe à l'Actor's Studio. Je me sens en accord avec ça, et je rêve de le faire. Alors je visite des lieux possibles...mais je n'ai pas encore trouvé. Je sens qu'un atelier brasserait des énergies nouvelles.

Le Public : Nous avons parlé des influences, des maîtres. Mais le théâtre est aussi fait de rencontres, d'amitiés, de fidélités ?

Daniela : Je pense immédiatement à Michel [Kacenelenbogen] et Pati [Patricia Ide] qui sont fidèles. Cette fidélité vient d'une amitié de plus de trente ans, mais je sais aussi qu'ils restent vigilants, exigeants avec moi et donc ils me permettent des choses. Il y a eut aussi le Théâtre de Poche avec Roland Mahauden qui fut très important au début de ma carrière. Le Rideau de Bruxelles qui était un creuset, et le Théâtre National... du temps où il était national. Ce sont les personnes rencontrées là qui m'ont faite sur ce territoire-ci. Je sens qu'il y a de nouvelles personnes qui arrivent et ça brasse de nouvelles choses. Mais,indépendamment de l'amitié, il y a surtout une fidélité à la qualité. Ca doit s'entretenir, il faut pouvoir se remettre en questions, faire le marsupilami et rebondir. Par exemple, j'ai découvert le théâtre de Louvain-la-Neuve, le Jean Vilar. Et cette année-ci, ils m'ont donné l'opportunité de faire une mise en scène à partir d'une nouvelle écriture, et c'était formidable. Ca veut dire que des choses naissent, que ça tourne et que c'est toujours riche. Parce que je crois que le jour où on ne s'amuse plus - on peut souffrir, il faut un fameux estomac - mais le jour où on ne s'amuse plus, il vaut mieux se tourner vers d'autres choses. Parce que la vie est suffisamment riche pour susciter chez nous d'autres envies. Et si ce n'est pas le cas, ça veut dire qu'il faut creuser autrement l'envie qu'on a.

Le Public : On n'a pas encore évoqué le cinéma*. Tu en as fait pas mal ?

Daniela : Oui, beaucoup ! Je tourne assez régulièrement. J'adore le travail au cinéma, parce que là, la caméra ne fait pas de partage, elle prend tout. Et il faut apprendre à réduire à sa plus simple expression quelque chose qu'on voudrait exploser. Pour qu'une caméra vous aime, il faut que tout passe bien, la lumière, le physique aussi particulier qu'il soit, la voix... Tout passe et il n'y a pas grand-chose à faire. iI faut faire ce trajet-là pour le plus secret. L'intime encore.

*Filmographie: Daniela Bisconti à débuté au cinéma dans "Toute une nuit" de Chantal Akerman, elle a tourné ensuite sous la direction de Juliet Berto, Marion Hansël, Tonie Marshall,Loredana Bianconi, Raymond Vouillamoz, Francis Reuser, Luc Piene, Franck van Passel, Franck van Mechelen et Lucas Belvaux, entre autres...

Photos titre: JC Wolff

Photos spectacles: "Une journée particulière" et "Agnès de Dieu"

 

 

 

 


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