MARS 2011
Babetida Sadjo
Babetida Sadjo
Babetida Sadjo est une jeune comédienne que beaucoup de spectateurs du Public ont découverte la saison dernière dans « L'Initiatrice » de Pietro Pizzuti, avec Florence Crick pour partenaire.
Babetida nous revient dans « Doute » de John Patrick Shanley. Voici le portrait d'une comédienne, et d'une femme, belle et sensible, pour qui le théâtre est un besoin et la scène un refuge.
Babetida a 27 ans. Elle est née à Bafata, en Guinée Bissau. A douze ans, elle fait le grand écart entre les continents et se retrouve au Vietnam. Un nouveau pays, de nouvelles langues, d'autres gens. Pourtant, dans son souvenir d'adolescente, au-delà des différences entre l'Afrique et l'Asie, elle y voit aussi beaucoup de points communs. Et même si la couleur de sa peau, et ses cheveux qu'on remarque, la distinguent, Babetida ne s'est jamais sentie « à part ». Elle s'est fondue tranquillement, dit-elle, dans ce pays qu'elle aime tant. Malgré la pauvreté du Vietnam, c'est pour elle un pays riche de ressources et d'imagination, comme son deuxième pays. Au point d'espérer un jour y retourner, y travailler un temps à l'Alliance française, le faire découvrir à son fils (« Une merveille, le plus bel enfant du monde !!! »). Retourner en quelque sorte sur le chemin de son adolescence et retrouver aussi ces paysages magnifiques.
C'est là, au Vietnam, qu'elle découvre le théâtre. Parce qu'il lui faut améliorer son français, et que les loisirs sont rares, elle suit un cours de théâtre. Un monde qui lui est totalement inconnu mais qu'elle découvre avec bonheur. A 16 ans, nouveau grand écart, et voici Babetida en Belgique. Tout naturellement elle continue à faire du théâtre. A Liège tout d'abord, au Centre Antoine Vitez, et à Bruxelles ensuite où elle intègre la classe de Bernard Marbaix au Conservatoire. Elle a vraiment apprécié travailler avec son professeur qui la mettait à l'aise alors qu'elle sentait que certaines références culturelles lui faisaient défaut. Elle lit énormément, ce qui nourrit sa passion pour les livres. Enfant, sa mère lui disait déjà : « Dès que tu sais lire, le monde t'appartient. Va à l'école tant que tu peux.» Alors Babetida dévore tout ce qu'elle trouve. « C'est compulsif » dit-elle, « Si je rentre dans une librairie, il faut que j'en sorte avec un livre sous le bras. » Elle a toujours un livre dans son sac...On ne sait jamais, si on a un moment pour lire ?! Lire est une révélation pour elle. Toute cette imagination qui vient à soi, comme un autre monde. « C'est presque vivre sur une deuxième planète spirituelle, rien qu'avec les livres. je trouve ça fascinant. » Et donc le théâtre, pour Babetida, est le prolongement naturel des livres : faire en sorte que toute la puissance de cette imagination devienne réelle, soit transmise et partagée.
Diplômée du Conservatoire (elle remercie tous ses professeurs !) elle commence à jouer en « professionnelle » même si elle a déjà participé à quelques spectacles au Théâtre de la Place des Martyrs qui invite parfois les apprentis comédiens à faire de la figuration. Comme dans « Le Mariage de Figaro » par exemple, que monte Daniel Scahaise. Là, Babetida croise, entre autres, Christophe Desthexe avec qui elle rêve de travailler un jour et dont la puissance en scène l'impressionne. Elle rencontre aussi Hélène Theunissen qui la met en scène dans son premier vrai rôle. « Le Masque du dragon » de Philippe Blasband, que Babetida joue en compagnie d'Awa Sène Sarr, est créé en 2008 et continue d'ailleurs à se jouer un peu partout en Belgique. Le jour de la première est aussi celui de l'élection d'Obama et Babetida monte sur scène portée, transpercée dit-elle, par son « Yes, we can ! » Ensuite, elle enchaînera les spectacles avec, notamment, « L'Illusion comique » que met en scène Marcel Delval ou encore « Emballez, c'est pesé ! » de Piemme, dirigé par Yves Claessen.
En réalité, bien avant tout ça, Babetida porte déjà un projet. Celui d'adapter « Fleur de désert » de Waris Dirie et qui traite d'un sujet qui lui parle tant, celui de l'excision. Mais la rencontre avec l'auteur top-modèle ne se fait pas. A cette époque, on jouait « Le Silence des mères » de Pietro Pizzuti et Babetida venait de voir « La Résistante ». Tout naturellement, c'est à Pietro qu'elle propose d'écrire une pièce sur ce thème auquel lui-même pensait déjà. Ainsi est née « L'Initiatrice », ce projet qui tient tant à cœur à Babetida. La connivence est telle avec Florence Crick que le plus infime changement d'intention dans le jeu est immédiatement ressenti par l'autre qui rebondit aussitôt dans l'émotion proposée. Voici ce qu'en dit Babetida : «Flo a une sensibilité tellement proche de la mienne que je sens qu'on peut être blessées aux mêmes endroits. Je trouve ça merveilleux, du moment qu'on puisse se protéger. Je travaille beaucoup à ça, à bien me protéger. Je mets du temps avant d'ouvrir la porte. Ce qui se passe avec Flo, c'est magique. On joue un jeu et en même temps on ne joue pas à un jeu. A un moment, on sent que l'autre bascule vers un endroit, et on la suit, et on l'emmène dans un autre endroit. C'est merveilleux parce que tout le temps le texte sort autrement, tout le temps on est surpris par les émotions. Et on se redécouvre, et on se donne avec un tel plaisir que quelques fois je me dis que j'ai envie de rester là. « Donnez-moi encore des mots à dire ! Donnez-moi encore des mouvements à exécuter ! Donnez-moi encore des mots ! » Si je pouvais, je ferais du théâtre pendant des heures et des heures ! Je sais bien que ce serait insupportable (rires) mais vraiment « L'Initiatrice », c'est une belle rencontre. »
Du théâtre et du plaisir de jouer, elle dit encore : « J'ai besoin de ça. Vraiment besoin de ça. Si quelque chose devait m'empêcher de jouer, ça voudrait dire qu'il y a une part de moi qui serait foutue. Ca me fait me poser la question du pourquoi. Pourquoi je monte sur scène ? Pourquoi durant quarante soirs de suite je ne vais pas être chez moi avec ma famille, mais je vais être sur scène pendant des heures, à retenir des gens qui ont décidé qu'un soir dans le mois ils ne seraient pas avec leur famille. Pourquoi ? Et ça me pousse à chercher toujours la vérité sur scène. Quand je parle de vérité, je parle de celle qui est dans l'œil de mon partenaire, là en face de moi, en train de me dire ce mot-là et pas un autre. et moi qui portes ce personnage-là, qui a vécu des tas de choses que j'ai imaginées, ou que l'auteur a écrites. et tout ce mélange là, le rendre tout d'un coup vrai : « C'est ma vie aussi ! » Ca passe par moi. Tout ce que je dis là, maintenant, n'est qu'une source de réflexions pour demain. Je ne sais pas où est la vérité. Depuis le théâtre, je ne sais plus. il n'y a pas de certitude. Je crois que les plus belles émotions sont celles qu'on éprouve à un carrefour quand on ne sait pas quelle route prendre. Ce n'est pas la route qu'on a pris qui fait l'émotion, mais cet endroit-là où on se demande laquelle choisir. Dans la vie, il me semble, on a toujours peur d'être à cet endroit-là. On n'accepte pas de ne pas savoir. Et finalement, c'est ça qui nous bouffe. Le théâtre me permet d'être à cet endroit-là, celui où on vacille. »
Babetida rencontre à nouveau un personnage fort dans « Doute », celui de Madame Muller dont elle dit que « C'est une brave femme. » Une femme courageuse face au spectre de la pédophilie. Pour Babetida, un enfant ne peut pas être tenu pour responsable. C'est clair, il ne peut pas dire oui. Mais le personnage de madame Muller dit : « Et pourquoi pas ? Et si c'était le cas ? » Cette mère a toutes les raisons du monde de dire et de croire ça. Mais pour la comédienne c'est un endroit d'inconfort terrible de devoir soutenir ça devant des gens et de devoir y croire à fond, même si elle ne partage pas du tout le point de vue de son personnage. C'est ce que Babetida trouve merveilleux aussi au théâtre : devoir croire à tout prix à la vérité de son personnage et le défendre, même contre soi. « Dans « L'Iinitiatrice » j'avais senti ça par rapport à l'érotisme. Je suis quelqu'un de très pudique et prononcer ces mots-là était vraiment difficile pour moi. Et puis voilà, il faut se lancer, et on est heureuse de pouvoir dire ces mots en les laissant sortir comme ça, comme de l'or. C'est magnifique ! Ici, il y a encore un degré supplémentaire de difficulté à dire les choses. Mais c'est merveilleux, car je suis arrivée à aimer ce personnage. Je l'aime ma Madame Muller. C'est une brave femme qui laisse venir ses doutes. C'est une vraie mère qui ne sacrifie pas son enfant, mais qui pense au-delà du « maintenant ». Tout le monde dans la pièce est dans le « maintenant ». Elle, elle se fiche de savoir ce qui s'est réellement passé. Elle est vingt ans plus tard. Peu importe aujourd'hui : son garçon doit sortir de cette école, il doit devenir quelqu'un.»
Et puis, Babetida a d'autres projets en tête. Elle reprendra « Le Masque du dragon » en septembre et elle sera de la version africaine des « Monologues du vagin » que Nathalie Uffner présentera à la Toison d'Or. Et encore un autre projet autour de l'érotisme. Pour quelqu'un qui se dit très pudique, ce sont des choix étonnants. « Oui », répond Babetida, « Mais c'est comme si la pudeur était une boîte secrète que le théâtre me permet d'ouvrir un peu de temps en temps. En fait, la femme, la figure féminine me fascine. Les femmes dans leur force, dans ce qu'elles vivent, dans leur beauté, dans leur sensualité. J'ai l'impression qu'il y a plein de choses à découvrir et c'est ce qui me mène à parler de ça. Sur scène, je me sens en sécurité, bras ouverts, sous le regard bienveillant des spectateurs. »
Babetida « grignote » aussi du cinéma, comme elle le dit. Elle a tourné « Le Sens de nos peines » de Stéphane Cazes, avec Mélanie Thierry qui sortira à l'automne prochain. Mais aussi un court métrage, « Einstein était un réfugié », de Solange Cicurel dont elle dit que c'est une grande réalisatrice. Le cinéma la tente, juste un peu, parce que le théâtre... ! "Evidemment si on me propose un premier rôle au cinéma, je saute dessus ! Même le second rôle... Mais le théâtre ça reste... Je trouve incroyable comment une phrase peut évoluer d'un jour à l'autre. Comment une émotion peut venir de points différents quand on est sur scène. Je trouve ça incroyable !"
Crédits photos: 1 "Doute" - Isabelle Debeir - 2 "L'initiatrice" - Christophe Louergli
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