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6 questions à Anne Sylvain

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29/04/2019

Regards sur The Elephant Man



Interview Rapido 6 questions à Anne Sylvain
Le regard de l'autrice J’ai connu l’enfant éléphant à douze ans
Le regard du metteur en scène

En savoir plus sur Joseph Merrick

 Interview Rapido  6 questions à Anne Sylvain

A quelques jours de la première de « The Elephant man », nous sommes allés à la rencontre de son autrice, Anne Sylvain. Qu’est-ce qu’un monstre ? Qui voyons-nous ? Qu’a-t-il en lui qui nous fascine ? Quelle place accordons-nous à la différence ? Et au-delà des apparences, est-ce une question de regard ?

« The Elephant Man » est ton premier texte. Comment devient-on autrice ?
J’écris depuis longtemps sans me considérer comme autrice. J’écris sans prétention aucune, comme peignent les peintres du dimanche. Tout simplement parce que je suis amoureuse de la langue. Mon imaginaire est envahi de mots, et cela m’amuse et me passionne de jongler avec eux.
L’écriture de la pièce « The Elephant Man » est une commande de Michel Kacenelenbogen. C’est en quelque sorte Michel qui me catapulte « autrice ». Et je l’en remercie, sans lui, jamais je n’aurais osé.

Quelle est la singularité de cette nouvelle version ?
Avant de me lancer dans l’écriture, je me suis évidemment familiarisée avec le personnage de Joseph Carey Merrick en décortiquant sa vie, les faits historiques, et le contexte politico-économique dans lequel il a vécu. Ce qui n’a rien de singulier. Mais je ne voulais pas seulement raconter l’histoire de ce destin particulier, David Lynch s’en est magnifiquement acquitté avec son film. Joseph est ce qu’il est. Mais que provoque son aspect si particulier chez les autres ? J’ai voulu une plongée dans l’espèce humaine et quelques-uns de ses défauts pour que l’on puisse s’interroger sur la place de la monstruosité. Les personnages qui entourent Joseph sont eux aussi tous des phénomènes, même si leur enveloppe extérieure n’est pas malformée. L’aspect singulier de cette version est qu’en dehors du médecin et du forain qui exhibait Joseph, toutes les autres rencontres que fait Joseph sont fictives. Il va par exemple rencontrer une prostituée ou la reine d’Angleterre.

Quel est ton regard sur Joseph Merrick, surnommé Elephant Man ?
Finalement, dans cette version, Joseph malgré sa réalité abominable et donc ses failles abyssales n’apparaît-il pas comme le plus dépouillé d’anormalités ?
J’espère que le dégoût de l’apparence physique se fera admiration de l’être.
J’espère que le spectateur s’attachera à lui comme je suis tombée en amour pour lui.

D’autres œuvres populaires traitent elles aussi de la différence (« Cyrano de Bergerac » d’Edmond Rostand, « Notre Dame de Paris » de Victor Hugo, « La Belle et la bête » de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, …). Y puises-tu une inspiration ?
Lire Hugo, Rostand ou d’autres m’a semblé un passage « obligatoire ». Le thème de la différence est omniprésent dans l’Art. Que ce soit dans la littérature, dans le cinéma, dans la peinture.
Les monstres font partie de nos vies dès l’enfance, comme un passage initiatique. Ils existent dans la littérature pour interroger notre processus de civilisation. Les montres (et par là, le thème de la différence) nous mettent au défi, ils nous questionnent sur l’exclusion, les préjugés, la souffrance, le sentiment d’infériorité, la violence, les fantasmes, la notion de beauté, le bien et le mal. Ils nous éclairent sur nos peurs, sur les discriminations, sur nos tolérances ou non face à la différence. J’ai axé l’une des exceptions de Joseph sur sa connaissance des poètes. La littérature est sa puissance de vie. Les poètes peuplent sa « grosse » tête, l’aident à vivre en le faisant rêver ou à traduire ses états d’âmes et ses douleurs, les poètes lui susurrent que tout reste possible. Il me paraissait dont essentiel de me référencer à la littérature déjà existante. La partition de Joseph est donc référencée à Shakespeare. Quant au conte incontournable de « La belle et la bête » – la belle effrayée par la bête et qui finit par éprouver des sentiments forts à son égard –, tous nous connaissons la portée universelle de ce conte, mais nous y projetons-nous dans nos propres vies ?

Pour toi qu’est-ce qu’un monstre, qu’est-ce que la monstruosité ?
Sans doute l’orgueil, la supériorité, le mépris et tout l’obscur déshonorant que nous avons tous en nous, qui nous écarte de l’autre et le blesse sans le vouloir…

As-tu d’autres textes déjà couchés sur papier ou d’autres histoires en tête ?
J’ai dans mes tiroirs beaucoup de textes non édités.
Une autre pièce. « La Boîte », qui traite de la relation père-fils.
Une nouvelle « Le Déménagement », qui parle de l’indispensable de la littérature.
Et deux romans courts : « L’Echappée belle », une intrigue familiale qui commence à la Grande Guerre et se termine à la guerre 40-45. Et « 10h58 », un train s’arrête au milieu de nulle part, pourquoi ? Le désordre se met en place et les personnalités se révèlent. Les fantasmes, les attirances et les répulsions s’enclenchent. Sur fond de malaise adolescent, c’est un voyage qui pénètre dans la conscience et les organes de chaque passager.

 

 Le regard de l'autrice  Anne Sylvain

J’ai connu l’enfant éléphant à douze ans.

J’ai fait mon cursus scolaire dans une école catholique gérée par des Sœurs.
D’abord dans des classes non mixtes pour le parcours en primaire. Avec des règles strictes, dont l’uniforme des jours officiels et le tablier au quotidien pour effacer les différences entre élèves. Ou encore la prière du matin et celle du repas de midi pour rappeler les bonnes valeurs de l’amour du prochain et du partage. « Bénissez-nous Seigneur. Bénissez ce repas, cette table accueillante. Et procurez du pain à ceux qui n’en ont pas. »

Les classes sont devenues mixtes en secondaire et les changements sont arrivés en cascade. J’ai pu m’habiller comme je le désirais, j’ai pu m’amuser des garçons parce que leur voix déraillait à la recherche d’une tonalité. Bref, j’avais douze ans et je m’éveillais à un autre monde.

Est arrivé en pleine année scolaire, un nouveau dans notre classe.
Il s’appelait E***.
E*** G.
Il n’est resté que quelques mois avec nous.
Peut-être est-il tombé très malade, et a-t-il dû quitter l’école.
Ou peut-être est-ce nous, ses camarades de classe, qui l’avons chassé. Qui sait ?
Je ne le saurai jamais.
Je ne me suis jamais posé la question à l’époque. Ou alors je ne m’en souviens pas.
J’avoue même que j’ai oublié E*** pendant des années.

C’est en écrivant « The Elephant Man » qu’E*** est revenu me hanter. Avec des souvenirs très vifs.
Tout à coup, son visage défiguré m’est revenu. Et son corps difforme. Et sa voix nasillarde. Et son odeur insupportable.
J’ai connu l’enfant éléphant à douze ans.

Un protocole nous imposait de nous lever à l’entrée de la directrice dans notre classe, ce que nous avons fait, car elle était là, face à nous. Le silence qui régnait dans la classe était lourd, toute la classe avait les entrailles retournées. Était-ce une hallucination ? Ou notre imagination ? La directrice était accompagnée d’une brebis malade. La directrice nous amenait un être difforme vêtu d’une chemise à carreaux rouge, noir et blanc et d’un pantalon en velours d’un brun qui rappelle les feuilles mortes. Et l’être difforme allait devenir, nous annonçait-on, l’un des nôtres.

L’un des nôtres ? Comment était-ce possible ? Comment était-il possible de nous obliger à cette rencontre ? Il était si différent… Un véritable drame de la nature…
Qu’espérait-elle, cette directrice, pensait-elle que la vingtaine d’enfants que nous étions allait accueillir E*** dans le meilleur des mondes ? Qu’espérait-elle de nous ?
Et les parents d’E***, qu’espéraient-ils ? Que leur fils soit intégré comme de rien dans une classe d’enfants dits « normaux » et qu’E*** fasse une scolarité exemplaire, et qu’E*** soit mathématicien, ingénieur ou ministre ?

L’accueil d’E*** parmi nous fut ce qu’il devait être, dans « l’ordre des choses ».
C’est-à-dire déplorable, plein de rejet, de moqueries, de méchancetés, et de réactions atroces qui manquaient profondément d’humanité. On lui collait tout sur le dos, certains ne se sont pas privés de le traiter comme un moins que rien qui ne valait rien…

C’est la prof qui a décidé de la place d’E*** sur le même banc que moi. « Tu as toujours eu un bon fond », m’a dit ma mère. Je n’avais rien contre, mais je ne me suis pas non plus proposée spontanément pour lui proposer une place à mes côtés. Sa voûte palatine n’était pas formée et de sa bouche sortait une odeur terrifiante. Son visage était rectangulaire, ses cheveux étaient rasés à la militaire, sa bouche finissait en bec de lièvre, son nez était en trompe écrasée et ses yeux étaient à peine visibles. Il souffrait énormément d’une douloureuse jambe tant elle était grosse. Il se cramponnait pour avancer et tanguait péniblement d’une jambe à l’autre. Sa cage thoracique semblait tordue sous sa chemise à carreaux.

Sa respiration était sifflotante et parfois très bruyante. Des doigts boursouflés l’empêchaient d’écrire correctement. Il était si seul. Tout en lui hurlait qu’il était si seul et fatigué d’être lui-même. Ai-je eu pitié de lui ? Depuis longtemps déjà je savais qu’il y avait des forts et des faibles, et cela m’était insupportable. Ai-je eu pitié de lui en prenant soin de lui ? Lui ai-je donné de l’attention parce que j’avais pitié de lui ?

J’étais juste assise à côté de lui parce que personne ne voulait de lui. J’essayais de l’aider parce que je le voulais et comme je le pouvais, sans rapport à un autre but, même si E*** était très fort et moi nulle en latin. Il aimait passionnément le latin. Je crois qu’il était le seul à connaître parfaitement les déclinaisons et la guerre des Gaules. Horum omnium fortissimi sunt Belgae. De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves. Et ses yeux tristes changeaient. Ils ne s’illuminaient pas, non, juste ils changeaient.

J’avais douze ans, et je venais de recevoir un cadeau.
E*** me semblait être invincible, porteur de vie, capable de survivre à toutes les épreuves, de surmonter à lui tout seul toutes les contraintes de la vie.
En fait, il était nécessaire qu’E*** vient à moi. Il a certainement changé ma vie sans que ni lui ni moi en ayons conscience.
Il me semblait invincible et pourtant il est parti.
Peut-être est-ce moi qui l’ai chassé, parce que je ne l’ai pas assez consolé de lui ou protégé de ses angoisses.
Il a quitté l’école.
Il a quitté une solitude pour une autre errance.
Et je ne m’en suis pas préoccupée. Ou alors je ne m’en souviens pas.
Aucun ne sauvera ou ne guérira jamais personne.
C’est un gouffre qui m’engloutit à jamais.
E***… mon enfant éléphant… Es-tu encore en vie ?

 

 Le regard du metteur en scène  Michel Kacenelenbogen

Avec « The Elephant Man » la question qui se pose fondamentalement est celle de la limite.
À partir de quand peut-on considérer que quelqu’un devient monstrueux ? Voir dans quelles situations considère-t-on que quelqu’un est un monstre ?
La monstruosité n’a pas qu’un seul visage, elle peut être physique ou morale.
Dans « The Elephant Man », chacun des personnages a des côtés monstrueux que le public pourra constater. Leur monstruosité nous renvoie à la nôtre puisque, comme eux tous, nous sommes un monstre quelque part.

 

 En savoir plus  Qui était Joseph Carey Merrick ?

Joseph Carey Merrick (5 août 1862 à Leicester, Angleterre - 11 avril 1890 à Tower Hamlets, Londres) est un Britannique présenté comme phénomène de foire sous le surnom d'« Elephant Man » (« l'homme éléphant »). Il vécut en Angleterre pendant l'ère victorienne. Il était connu en raison de la difformité extrême de son corps et fut un cas étudié par la médecine britannique. Dans la biographie que Frederick Treves lui consacra en 1923 : L'Homme Éléphant et autres souvenirs, il le prénomma John au lieu de Joseph.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Merrick


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